9 mai 2003, Nong Khiaw, Laos

La courte traversée du Mékong qui nous fait passer de la Thaïlande au Laos constitue une véritable frontière. De l’autre côté du fleuve, c’est un tout autre pays qui respire. La différence est marquée. Adieu monde civilisé, adieu développement et technologie.

Nous sommes entrés au Laos par le nord, dans une petite bourgade au nom étrange : Houie Xay. Les routes du nord du Laos sont dignes de celles de la Birmanie, des chemins pénibles et cahoteux. Nous sommes passés de Houie Xay à Luang Nam Tha, à Udomxay, à Pak Mong, à Nong Khiaw et à Muong Noi. Quels noms étranges! J’arrive à peine à les différencier.

Les chemins sont si horribles qu’il est normal de rouler pendant huit heures pour parcourir 200 km, mal assis dans un camion sur une route de terre et il fait chaud, mais tellement chaud! Sans compter la poussière qui s’immisce dans tous les orifices de notre corps. Et notre siège précaire dans le camion, dont le dossier est constitué d’une belle grosse barre de métal! Cette barre s’imprime profondément dans notre dos, à chaque trou rencontré sur la route. Jusqu’à ce qu’elle reste imprégnée au fond de nos reins, tellement les cahots sont nombreux! En fait, je me demande souvent si nous sommes effectivement sur une route. On se croirait davantage sur un sentier de brousse ou sur une piste d’animaux! De plus, il n’y a aucun pont sur les rivières. Notre camion prend son élan et traverse les rivières à gué! Je n’aime pas beaucoup voir les rivières au tournant du chemin, ne pas apercevoir de pont et devoir les traverser en camion. Mais ce qui rend, plus que tout, les transports difficilement supportables, c’est cette chaleur suffocante.

Les routes existent depuis peu de temps au nord du Laos. Les villages sont situés sur les rives des rivières et une grande part de la circulation et du transport s’effectuent encore par bateau.

Le nord du Laos nous dévoile des paysages superbes. Des petites montagnes très abruptes qu’on nomme pains de sucre, des rivières partout. Une maigre consolation qui capte nos regards pendant ce voyage interminable et quasi insupportable.

Au temps de l’Indochine, les Français disaient que les Vietnamiens plantaient le riz, que les Cambodgiens faisaient pousser le riz et que les Laotiens écoutaient pousser le riz.

Il n’y a pas de vie plus tranquille qu'au nord du Laos. Au début, je trouvais que les Laotiens ne faisaient rien et que nous n’avions rien à faire. Je réalise maintenant que c’est leur rythme de vie. Les Laotiens vivent entre la rivière et le hamac, ils pêchent quelques poissons et cultivent le riz collant. En somme, ils écoutent presque pousser le riz!

Toute la journée, les rivières fourmillent d'enfants riants et grouillants. Les gens sont souriants et calmes. Perdre son calme au Laos, c'est perdre sa dignité. La vie est tranquille, il ne faut travailler ni trop, ni trop fort. Leur journée débute vers 4h ou 5h du matin, les Laotiens travaillent un peu jusque vers 10h ou 11h, puis, siesta, rivière et hamac. Dans les petits villages, ils cultivent les champs en communauté. Les Laotiens préfèrent faire pousser le riz collant qui demande moins de travail, même si sa production est moins bonne. Ils choisissent d’importer des fruits pour les touristes plutôt que d’en récolter, ils préfèrent avoir plus de temps pour eux et faire moins d’argent. Et je crois qu’ils entretiennent surtout leur sourire, qu’ils ont si flamboyant.

Quelle belle leçon de vie! J’aimerais bien l’importer en Occident. L’argent est chez nous tellement plus important que le temps. Je crois que nos valeurs méritent une bonne révision, un bon renversement.

Le nord du Laos est l’endroit qui a été le plus bombardé au monde. Pendant la guerre du Viêt-nam, les Vietnamiens du Nord passaient en territoire laotien pour se rendre au Viêt-nam du Sud par la piste d’Ho Chi Minh. Les Américains ont donc eu la brillante idée de lancer des bombes sur le nord et l'est du Laos afin de détruire les forces vietnamiennes. Mais ils n’ont pas lancé que quelques bombes par-ci par-là. Ils en ont envoyé une quantité inimaginable.

Pendant neuf ans, il est tombé, là où je suis présentement, une bombe à toutes les huit minutes. Ceci dépasse l’entendement, je ne peux l’imaginer. Une bombe à toutes les huit minutes. Et pendant neuf ans! Les Laotiens ne pouvaient pas vivre dehors. Par chance, il y avait des grottes et des cavernes naturelles partout dans les montagnes. Pendant neuf ans, les Laotiens s’y sont terrés. Pendant neuf ans, ils ont passé leurs journées à la noirceur. Ils sortaient la nuit pour cultiver et pêcher de quoi survivre. Neuf ans. C'est long. Très long.

Et, il faut se le rappeler, les Américains faisaient la guerre aux Vietnamiens! Les Laotiens, des innocents qu'on a bombardé pendant neuf ans! C'est beau la démocratie, quel beau grand pays que les États-Unis, ils se dévouent pour maintenir la paix mondiale. J’ai lu dernièrement que Bush et Blair pourraient possiblement être en nomination pour le prix Nobel de la Paix. Je ne peux y croire, c’est impossible. Les humains n’apprendront donc jamais des leçons de l’histoire? Qu’est-ce que la lutte au terrorisme, si ce n’est une version différente de la lutte au communisme? Le monde n’est pas une constellation de gentils et de méchants, de bons et de mauvais. La terre n’est pas l’arène de lutte des forces du mal et des forces du bien.

Au Laos, les Américains ne se sont pas contentés de lancer des bombes. Ils ont inventé des stratagèmes pour être certain d'atteindre leur but. Environ 30% de leurs bombes n'éclatent pas lorsqu’elles touchent le sol. Pour pallier à cette situation, les Américains ont créé des bombes qui ressemblent à des fruits. Ainsi, les enfants qui se promènent dans les champs vont se pencher pour cueillir et ramasser ces fruits, et, surprise, ils explosent. C'est si merveilleux la technologie et la créativité humaine!

Souvent je pense à ce passé horrible. Je regarde les Laotiens, toujours si souriants. Je pense à ces années difficiles, ces années de peur et de cachette et je m’émerveille devant leur vie paisible, douce, calme. Ces gens ne gardent ni amertume, ni rancœur. Ils sourient. Ils vivent, maintenant, au présent. Ils sont heureux. Ils ont compris les priorités de la vie, ils ont compris qu’il vaut mieux vivre sa vie au présent, apprécier ce qu’on a et en profiter pleinement.

C’est une leçon incroyable. L’Occident est en mal de vivre, l’Occident souffre de l’artificiel, l’Occident a oublié la vraie valeur de la vie.

Avant ce passé récent, le Laos fut, durant plusieurs années, une colonie française. Restent quelques reliquats de cette époque : la langue française qui survit encore chez certaines personnes, à ma grande surprise, et on trouve également du pain baguette! Parlant de nourriture, les mets laotiens se résument brièvement : riz collant, riz collant et riz collant. Jamais je n’aurais cru que je pouvais consommer autant de riz!

Dans les villages du nord, les soirées sont des moments privilégiés de rencontre pour les habitants des hameaux. Ils se réunissent autour de dards et de ballons gonflables, ils lancent les dards jusqu’à ce qu’ils gagnent des bonbons, du Red Bull (boisson énergétique) ou du jus. Dans ces petits villages, nous avons été bien accueillis. Beaucoup de sourires, mais peu de conversations puisque nous n’avions aucune langue en commun. Le laotien est difficile à apprendre avec toutes ses intonations que je n’entends pas.

Nous voici maintenant à Nong Khiaw. Georges, le propriétaire de notre hôtel, est un homme très sympathique. Il parle couramment français. Je suis surprise de rencontrer des gens qui parlent aussi bien leur français. J’imagine que je m’y habituerai en vivant en ancienne Indochine durant les prochaines semaines.

Nous sommes restés quelques jours à Nong Khiaw. Le temps d’excellentes conversations sur l’histoire du nord de Laos, sur la politique laotienne, sur la vie dans ces coins de pays. Le temps aussi de prendre une bicyclette et d’aller voir les rizières environnantes, les cavernes et les grottes où les gens ont vécu, les chutes et les rivières où les enfants jouent et pêchent. C’est ici que j’ai découvert que je pouvais transpirer des jambes. Il faisait tellement chaud sur ma bicyclette que c’en était dangereux. Je sentais venir le coup de chaleur. Il fallait toujours que je m’arrête pour boire des litres et des litres d’eau. Je ne croyais pas qu’il était possible d’avoir si chaud.

Puis, nous avons pris le bateau jusqu'à Muong Noi. Là, nous avons eu l'idée de nous construire un radeau en bambou pour redescendre la rivière jusqu’à Nong Khiaw. Pour ce faire, nous avons demandé l’aide de Laotiens. Il nous a d’abord fallu apprendre à vivre au rythme du Laos. La construction du radeau a commencé une journée en retard. Le rythme de travail était imposant : une personne travaillait pendant que quatre la regardaient. Nous ne pouvions communiquer autrement avec eux que par des gestes, ni français, ni anglais. Ce fut une expérience plutôt amusante qui dura une bonne journée!

Avec notre radeau, nous sommes partis pour descendre la rivière. Nous étions seuls, tous les deux sur le radeau, prêts à affronter les rapides! Notre radeau était difficile à diriger, les techniques de conduite étant bien différentes de celles d’un raft ou d’un canot. Très stable, il s’enfonçait sous l’eau. Et nous avons réussi, avec fierté, à descendre toute la rivière sans chavirer!

Tout au long de notre descente, les enfants et les pêcheurs riaient à notre passage. Notre présence sur cette rivière était inusitée, tous les gens des villages accouraient à la rive! C’était superbe d’observer ces rassemblements villageois au bord de l’eau, les enfants qui jouaient et riaient dans l’eau. Sous cette chaleur, rien de plus agréable que de voyager sur l’eau. Ce périple de cinq heures fut passionnant.

Le Laos nous a aussi initié à la popularité du karaoké. Tout comme en Thaïlande, ici, toutes les soirées se passent devant la télévision à écouter le karaoké et à chanter. Ça me dépasse! 

J’aime bien le Laos, enfin, ce que j’en ai vu jusqu’à présent. Sa culture et sa simplicité m’attirent. Je m’y sens mieux qu’en Thaïlande. C’est étrange. Faut-il qu’un pays soit pauvre et sous-développé pour que je l’aime? Faut-il que les gens vivent dans la misère pour que j’apprécie? Je me pose la question.

Je constate que ce qui m’intéresse, c’est de connaître des cultures différentes de la mienne, d’être en contact avec d’autres modes de vie, d’autres façons de vivre. Dans un pays très développé, je trouve que ce contact est plus difficile à établir. Mais surtout, que les différences sont moindres. La mondialisation, l’uniformisation des cultures, je réalise de plus en plus que ce ne sont pas seulement des grands mots prononcés par les politiciens à tort et à travers. Les pays développés tendent vers une culture mondiale, avec leur propre spécificité, certes, mais avec de plus en plus de points communs. Les pays les moins développés n’échappent pas non plus à ce nivellement, mais l’évolution est plus lente et les transformations sont présentement plus superficielles et moins apparentes.

C’est dommage parce qu’en uniformisant les cultures, nous enterrons toute la richesse de la diversité culturelle. Je me rends compte de l’importance pour moi de mieux connaître et de m’approprier ma propre culture et de la faire vivre. De ne pas laisser le Québec devenir semblable à tous les coins de la planète, d’y garder notre caractère spécifique. Que chaque pays garde son unicité et le monde ne deviendra pas uniforme.

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17 mai 2003, Vientiane, Laos

De Muong Noi à Nong Khiaw, puis à Luang Prabang, Vang Vieng et Vientiane. Avec leurs sonorités exotiques, ces noms de villes tintent comme des clochettes étrangères à mes oreilles.

Un premier arrêt à Luang Prabang, capitale de l’ancien royaume du Laos. Superbe petite ville aux millions de wats. J’aime bien me promener entre toutes ces wats aux toits dorés. Je l’apprécie, mais on dirait que je suis saturée de monuments. Elles sont très jolies ces wats, mais voilà, j’ai vu, ces derniers mois, trop de pagodes, de wats, de temples. Je n’arrive plus à m’émerveiller comme je le faisais auparavant. Maintenant, ces wats font partie du paysage dans lequel je vis, elles sont reléguées en arrière-plan dans mon existence, elles ne méritent plus à mes yeux le même intérêt. C’est dommage, mais je pense que c’est normal. Je suis partie à la recherche de la différence et maintenant, pour moi, ces wats ne font plus partie de la différence. Luang Prabang est bien pittoresque, mais je ne m’y attarderai pas. Les monuments restent des monuments, j’ai plutôt envie de connaître les Laotiens, qui représentent, pour moi, l’inconnu à découvrir.

À Luang Prabang, nous avons trouvé une agence de voyage où nous ferons faire notre visa pour le Viêt-nam. Ce visa est long à obtenir. Nous devons donner nos passeports en échange d’un mince reçu de papier et nous les récupérerons à Vientiane dans une semaine. L’agence nous semble professionnelle. Il faut faire confiance. Si je perds mon passeport, ma vie deviendra soudainement très compliquée. Mais, confiante, je me fie à mon instinct et je laisse mon passeport en ces mains étrangères.

Près de la ville, se trouvaient de superbes chutes, des cascades d’un bleu turquoise éclatant. Cette chute semblait surgir d’un paysage enchanté. Nous nous y sommes prélassés. En soirée, nous avons assisté à un spectacle de danses laotiennes intéressant, mais bien semblable aux danses birmanes.

Après Luang Prabang, nous nous sommes arrêtés à Vang Vieng. Déception. Petit coin de paradis : le paysage est superbe, les rizières vertes, la rivière turquoise, les pains de sucre escarpés. Et en plein centre de cette grandeur de la nature, le tourisme, à son état le plus triste, à son état le plus dévastateur. Vang Vieng sert de refuge pour les jeunes occidentaux en mal de vivre et en quête d’illusions. À Vang Vieng, tout diffère du Laos. Je suis dans un endroit étrange façonné par les touristes jeunes et occidentaux qui désirent discothèques, pizzas et drogues. La vie y est facile, illusions d’un paradis perdu. Vie légère, vie de plaisir, vie de futilité. Rien à voir avec le Laos. Et surtout, rien à voir avec la réalité de ce pays. Cet endroit pourrait exister n’importe où au monde.

Vang Vieng devient une illusion en soi. Avec son lot de drogues et d’alcool, elle transmet au Laos une image erronée de l’Occident. Une ville axée sur le plaisir et l’argent des touristes qui risque de faire basculer l’équilibre du Laos, de créer de nouveaux riches et une dépendance au tourisme, qui amène des habitudes de vie différentes, un changement trop rapide, un oubli des traditions. Vang Vieng est une réincarnation de Khao San Road, cette rue touristique de Bangkok, en plein cœur de la campagne laotienne. Dans un pays où les activités du soir dans les villages consistent à lancer tout simplement des dards sur des ballons, où les gens dorment vers 21h, quel contraste que cette ville où les discothèques, la musique et la drogue font rage jusqu’à trois heures du matin. Anachronisme profond.

Ce tourisme me dégoûte. J’en ai mal au cœur. Je ne peux pas comprendre ces gens qui, sans aucune conscience personnelle, ne réalisent pas le tort qu’ils engendrent dans une société traditionnelle. Restez chez vous, louez-vous un grand terrain, construisez-vous une commune, vivez votre vie d’illusions en ne causant de mal à personne. Pourquoi aller à l’autre bout du monde quand on ne veut pas connaître ce bout du monde?

Nous sommes arrivés à Vang Vieng en fin d’après-midi. Courte recherche pour trouver l’hôtel et retour sur internet après une semaine d’absence. La soirée m’accueille dans ce monde illusoire, je voudrais repartir immédiatement. Je déteste cet endroit, tout me pue au nez. Nous retournons dans notre hôtel qui, par chance, est situé à l’écart, et passons la soirée avec la famille laotienne. Ces gens semblent surpris que nous nous intéressions à eux, à leur vie. J’ai honte d’être Blanche, j’ai honte d’être Occidentale, j’ai honte de mes compatriotes ici présents. Je veux fuir ce lieu qui me répugne souverainement. Départ le lendemain matin, destination Vientiane.

Au-dessus de la rivière, se trouve un petit pont. Les piétons, les touristes en fait, doivent payer pour le traverser. Les habitants du village, trop pauvres pour emprunter tous les jours ce passage, traversent la rivière à gué. Les camions font d’ailleurs de même. Et nous aussi, préférant vivre, à notre façon, comme les gens de la place plutôt que comme les touristes.

Avant de quitter Vang Vieng, nous nous sommes baladés dans les rizières. Il y avait une grotte quelconque, au milieu de rien. Un gentil Laotien travaillant dans les environs nous y a guidés. Il nous a fait visiter sa grotte, sombre, boueuse, gluante, brune. Mystérieuse. J’aimais bien. Au fin fond, après une vingtaine de minutes de descente, se trouvait un petit trou d’eau, faiblement éclairé de nos lampes. Une eau noirâtre sous un dôme de pierre, l’endroit est minuscule et le trou très profond, nous affirme notre guide. Il y plonge tête première. Un éclat de vague se propage sur les parois rocheuses, l’écho retentit mille fois autour de moi, les vagues et l’écho se répondent en chœur pendant longtemps. Sensation étrange que ces bruits, ces éclaboussements dans la noirceur de la grotte! Montent en moi l’insécurité et la peur. Mon imagination court, ce trou d’eau sombre pourrait être n’importe quoi, peut-être communique-t-il avec les entrailles de la terre. J’y saute à mon tour, rapidement, et j’en ressors aussi rapidement, juste pour dire que j’y suis allée. J’ai l’impression d’être allée sous terre, d’avoir visité quelques secrets profonds de notre monde. Une demi-heure plus tard, je suis bien contente de retrouver la lumière du jour et l’éclat verdoyant des rizières. Je crois avoir rêvé. Départ, pour de bon cette fois, pour Vientiane.

Vientiane, la capitale, me réconcilie avec le Laos. Ville vraiment sympathique, elle me rappelle Yangoon, beaucoup d'arbres, pas de gros édifices. Je m’y ballade doucement. Si ce n’était de la chaleur étouffante, ce serait parfait. Je rêve au jour où je n’aurai plus la peau moite. Je constate que même en ville, les Laotiens sont souriants et gentils. Nous devons attendre pour récupérer nos visas pour le Vietnam, nous y restons donc quelques jours. Nous en profitons pour visiter le musée national du Laos. À part la Guerre d'Indochine et la Guerre du Viêt-nam, il y a, dans ce musée, des échantillons de marijuana, de hash et d'opium ramassés durant les dernières années. Eh bien, à chacun sa culture! De plus, par hasard, nous avons revu une amie belge rencontrée au Népal, Sandra. Rencontre bien agréable.

L’agence où nous devons récupérer nos passeports manque de professionnalisme, contrairement à celle où nous les avions laissés à Luang Prabang. Personne ne parle un bon anglais, il est difficile de nous faire comprendre. Je doute soudainement de retrouver mon passeport. Il faut attendre encore deux jours, ce que je fais avec impatience. En plus, ces jours-ci, l’Ambassade du Viêt-nam a tendance à refuser les Canadiens à cause du SRAS. Pourtant, j’ai quitté le Canada depuis déjà sept mois. Je suis plutôt insécure.

Finalement, deux jours plus tard, cette même dame qui ne parlait pas anglais, a sorti de son tiroir nos deux passeports canadiens enrichis d’un visa vietnamien. Ce que j’ai accueilli avec un grand soulagement. J’ai vraiment eu peur de ne plus revoir mon passeport, de l’avoir donné au marché noir sans le vouloir.

Durant tout ce temps passé à Vientiane, j’ai enrichi mes connaissances sur le Laos, sur sa politique et sa situation au sein de la communauté internationale. Le Laos est un pays à parti unique où les gens ont la chance, tous les quatre ans, d'aller voter pour un seul parti qui sera toujours élu puisque justement il est le seul. Étrange comme principe. Au moins, on ne risque pas d'élire des Jean Charest ou des Jean Chrétien par mégarde, mais bon, ça manque tout de même de démocratie. D'ailleurs, d'après Amnistie Internationale, le Laos se retrouve parmi les champions du non respect des droits humains, quel honneur!

Je me rends compte qu'il y aurait encore beaucoup à raconter sur les interventions américaines au Laos. Le bombardement du nord du Laos est loin de décrire toutes les horreurs qui ont été commises.

Les Américains ont utilisé des multitudes de marionnettes au Laos, c’est-à-dire des ethnies laotiennes qu'ils ont munies d’armes contre les Vietnamiens pour combattre le très méchant et infernal communisme. Par exemple, les Hmongs ont été armés par le CIA pendant la guerre du Viêt-nam. Et maintenant que le gouvernement laotien est communiste, il veut prendre sa vengeance contre les Hmongs qui sont anti-communistes. Alors qu’en fait, les Hmongs sont loin d’être des communistes ou des anti-communistes convaincus! Ils ne sont que des marionnettes dans cette histoire, armées par les uns pour se battre contre les autres.

Mais la situation est catastrophique. Le gouvernement extermine présentement les Hmongs au Laos, et ce, sans que la communauté internationale ne s'en mêle. Il n’y a pas de pétrole au Laos, pas de quoi prendre parti et se mêler du sort des autres.

Mais s’il n’y a pas de pétrole, on retrouve par contre de l'opium dans ce coin d'Asie. En fait, il s’agit probablement de l’un des plus grands trafics de drogue au monde. Les Américains ont lancé d’énormes campagnes anti-drogues à travers le monde, éradication de la coca en Bolivie, éradication de l’opium en Asie. D’après moi, les Américains ont une vision limitée de l’action à prendre. Plutôt que d’intervenir sur la source véritable du trafic de drogue, soit la mafia, ils interviennent auprès des peuples qui réalisent, depuis des siècles, ces cultures intégrées à leur mode de vie. Des cultures qui ne sont pas mauvaises en soi, qui ne le deviennent que lorsque la mafia se les approprie et transforme les produits récoltés. La feuille de coca est bien loin de la cocaïne, entre les deux existe tout un processus de transformation et une importante mafia. Où donc est le mal, dans la mafia ou dans la culture?

Présentement, l’action américaine s’impose partout dans les environs. Les armées thaïes, avec l’appui américain, s'occupent de bien gérer cette campagne anti-drogue en Asie. Durant les derniers mois, ces militaires ont tué quelques milliers de Thaïs, de Birmans et de Laotiens. La plupart était de petits trafiquants, de petits cultivateurs, des innocents. Très peu étaient reliés à la mafia, très peu étaient de gros trafiquants de drogue. Ce genre de guerre ne donne droit aux victimes à aucun jugement, ni à aucune défense. L'armée a des soupçons sur ton cas, tu es mort.

Il y a plus de morts que ce qu'on pourrait croire et imaginer, paraît-il. Mais personne n'en parle. Ça se déroule en cachette. C'est la guerre, ici, où je suis présentement, et je ne vois rien, et je n'entends rien. Si moi je n’ai connaissance de rien ici, j’imagine que là-bas, au loin, en Amérique, personne, mais personne n’en sait quelque chose. C’est l’autre bout du monde.

En essayant d'enrayer la culture de l'opium, en interdisant aux ethnies leurs cultures traditionnelles, leur mode de vie en a été bouleversé. Plusieurs tribus ethniques des montagnes laotiennes ont dû descendre dans les vallées. Elles meurent souvent de différentes maladies absentes du climat des montagnes. Ces tribus vivent une adaptation difficile avec leur nouveau milieu de vie. Et, trop souvent, elles se tournent vers le trafic de la drogue, qui est simple, payant et bien organisé. L'armée se remet alors à leur poursuite, c’est une histoire sans fin.

En Birmanie, l'armée kidnappe les enfants des villages reculés, elle les enlève à leur famille et les enrôle de force dans l’armée.

Toutes ces histoires d'horreur nous entourent, et nous, nous sommes ici, des petits touristes, des petits farangs à qui rien ne peut arriver (ou presque) pour la simple et bonne raison que nous sommes des farangs. Je suis ici et je ne réalise rien de cette guerre. Ce que je vois, ici ou en Birmanie, ce sont les sourires des gens, la gentillesse, la chaleur humaine, comme s'il ne faisait pas assez chaud.

Je vois tous ces sourires, je les superpose à ces horreurs qui font partie de leur vie quotidienne. Et je regarde par chez nous, je vois bien des airs bêtes qui se pressent, matin et soir, dans les rues de l'Occident, je les superpose à leurs conditions de vie. C’est à ne rien comprendre. Je promets, à mon retour, de sourire à tous ceux que je rencontrerai dans les rues grises de l’Occident.

Nous sommes en mai. Il vient vite le jour où je serai de nouveau dans les rues de l’Occident. Je sens mon retour approcher. Je m’ennuie du Québec, tout en savourant le temps qu’il me reste. Hier soir, nous avons justement rencontré deux Québécois, avec qui nous avons passé la soirée, quelque part entre Vientiane et Montréal. Quelques bières laotiennes, des références culturelles communes et une belle soirée. Je me sens prête, maintenant, à continuer. J’ai reçu une bouffée d’air frais québécois, j’en suis revigorée. Je repars.

Le Laos est un pays bien tranquille. Avec la chaleur ambiante, avec son grand calme, la ligne est mince entre le repos et l’ennui. Souvent, j’aurais envie que tout bouge un peu plus. J’aurais envie d’être confrontée, d’être remise en question, de sentir l’agression, de sentir la vie courir dans tous les sens. J’aurais envie de l’Inde. J’y pense sérieusement. Mais je donne une chance au Sud du Laos et au Viêt-nam. Et si la vie continue d’être aussi calme, si les endroits demeurent aussi touristiques, je crois que je retournerai en Inde pour les mois à venir.

J’ai perdu une cinquantaine de photos. Une histoire inexplicable, c’est à croire que ma caméra numérique en avait assez et qu’elle s’est vidée par elle-même. Mes photos se retrouvent en quelque part dans un ordinateur à Vang Vieng, ville de toutes les illusions. C’est loin d’ici. J’ai pensé y retourner, ce sont pour moi des souvenirs tangibles. Attachement? Je pratiquerai l’esprit bouddhiste. Je garderai ces souvenirs pour ce qu’ils sont, des souvenirs abstraits. Dire que je n’ai rien avec moi et que je réussis malgré tout à m’attacher à quelque chose. Qu’est-ce que ce sera de retour chez moi!

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