24 mai 2003, Tadlo, Laos

De Vientiane, un interminable trajet d’autobus nous conduit vers le sud du Laos, à quelque pas de la frontière cambodgienne. Autobus typiquement asiatique, caractérisé par ses goûts musicaux : « autobus karaoké où le karaoké joue à tue tête pendant toute la nuit ». L’idéal pour une bonne nuit de sommeil!

Nous avons survécu à ce périple et nous avons posé le pied sur Dondet, une des quatre mille îles du Mékong, là où le fleuve est à son plus large. Ces îles sont très paisibles. Les Laotiens pêchent et ... écoutent le riz pousser, encore une fois! Il n'y a absolument rien à faire sur ces îles sans électricité. Sauf passer la journée entre le hamac et le Mékong, puis admirer le coucher de soleil, spectacle tout simplement superbe. C'est la vie au Laos!

De cette île, départ pour une petite croisière. Elle nous a mené aux plus larges chutes d'Asie du Sud-Est, sises sur le Mékong. Nous avons pu y voir des dauphins Irrawardy, race en voie d’extinction, montrant leur dos au milieu du Mékong. Mais il faut regarder longtemps le Mékong pour pouvoir enfin en distinguer quelques-uns! Un peu trop longtemps à mon goût.

J'aime bien le Mékong. Au moins, c'est un vrai fleuve, comme ceux de l’Amérique du Nord, et non comme ces petites rivières d'Europe qu’on appelle fleuves.

Je commence à avoir vu tellement de « plus haut ci » et de « plus grand ça ». Je ne sais pas pourquoi chaque pays du monde essaie d'être « le plus quelque chose ». Curieusement, aucun pays ne se vante d'être « le moins développé économiquement » ou « le moins respectueux des droits de l'homme ».

Il n’y a rien à faire ici. Je commence à ressentir l’ennui. Il me semble que c’est un endroit que je pourrais adorer, mais je n’y parviens pas. Pour maintes raisons que je ne saurais exprimer. Tout comme s’il me manquait quelque chose. J’ai entrepris ce périple pour vivre la différence et l’inconnu. Ici, je me sens en vacances. Je tourne en rond. J’espère que le Viêt-nam bougera, qu’il saura me remettre en question, qu’il saura me déstabiliser.

De Dondet, nous sommes montés vers le plateau Bolovan, dans un petit recoin du pays, près d’autres chutes, à Tadlo. Nous vivons chez Soulideth, un Laotien bien sympathique qui adore le jazz et en écoute toute la journée. Cette musique me procure un grand soulagement après les quelques semaines d’écoute intensive de karaoké. Soulideth a, comme animaux domestiques, deux petits singes, mignons comme tout. Et avec lesquels j’aime bien jouer.

Nous avons visité quelques villages et ethnies dans les environs avec un guide qui communiquait plus mal que bien en anglais. Cette randonnée fut plutôt décevante, l’intérêt étant de rencontrer des ethnies minoritaires et d’apprendre davantage sur leur culture. Mais la piètre qualité de l’anglais parlé par notre guide constitua une barrière sur le plan de la communication et nous avons dû nous contenter de regarder. Ses tentatives pour nous relater l’historique des villages visités furent plutôt désastreuses.

C’est ainsi que dans un village éloigné, nous avons compris que l’une des traditions de l’endroit était d’organiser un combat de buffles, ensuite de lancer leurs oreilles et leur nez en l'air, pour qu’ils retombent en formant un poteau. Voilà la compréhension la plus cohérente qui se dégageait de cet événement après plusieurs questions de clarification!

Dans un autre village, semble-t-il, les gens construisent leur cercueil de leur vivant. On retrouve donc, sous les maisons à pilotis, le nombre de cercueils correspondant au nombre de résidents. Cette visite fut tout de même intéressante, mais on aurait pu en apprendre davantage sur les traditions locales.

Comme les maisons de ces villages sont construites sur pilotis, je croyais que c’était pour se protéger de la mousson, mais non! Les pilotis leur permettent plutôt de se protéger des insectes et de conserver leur intérieur plus au frais.

Dans quelques jours, nous quitterons le Laos. Mais, avant de partir, il nous fallait bien sûr goûter à la spécialité culinaire du Laos : les œufs à la coque avec un fœtus à l’intérieur. Dans les autobus et les camions, les Laotiens mangent couramment de ces œufs comme casse-croûte. Je les ai toujours regardé faire avec un air de dégoût. Et comme, pour la plupart, ces gens n’ont pas de dents, leur façon de mastiquer est plus ou moins élégante. Allons-y pour la dégustation, ce sera probablement la seule fois de ma vie.

Un œuf avec un fœtus. Le jaune de l’œuf est plutôt de teinte grise, avec des grumeaux. Je l’examine longuement et puis je prends mon courage à deux mains. En fait, le goût surprend mais n’est pas mauvais. Comme un œuf à la coque un peu trop cuit, un peu plus pâteux. Mais il vaut mieux le manger tout de suite sans trop le regarder et surtout, ne plus y penser par la suite! Je suis fière de moi, j’ai réussi. C’était le premier et le dernier!

Pour quitter le Laos vers le Viêt-nam, nous avions étudié notre livre-guide de voyage. Nous voulions emprunter une route qui reliait le plateau Bolovan à la frontière centrale du Viêt-nam. Cette route, très peu fréquentée et non touristique, passait sur les traces de la tristement célèbre piste d’Ho Chi Minh. Mais à Tadlo, Soulideth nous a appris que cette route n’existait plus depuis une trentaine d’années. En fait, depuis la guerre du Viêt-nam. Les bombardements intensifs ont détruit les ponts qui, depuis, n’ont jamais été reconstruits. Aujourd’hui, on retrouve seulement une piste, mais sans pont, et plusieurs rivières à franchir.

Je suis toujours surprise de voir à quel point ces peuples manquent de ressources primaires et de voies d’accès. Depuis la guerre, la plupart des villages des régions éloignées ne sont accessibles qu’en moto, en bicyclette ou à pied. Voilà l’une des conséquences des bombes américaines lancées sur le Laos. Et ici, lorsque qu’une infrastructure importante est détruite, ça prend des années et des années avant que la reconstruction ne soit rendue possible.

Nous reprendrons donc le même chemin, passant par Savannaketh, avant de nous rendre à la frontière vietnamienne, puis à Hanoi.

Ce que je retiens du Laos, à quelques jours du départ, c’est sa vie calme et paisible, sa vie où les gens prennent le temps de profiter de l’existence. Les sourires omniprésents et les enfants dans les rivières. La vie au jour le jour sans se préoccuper du lendemain. Mais tout de même, je souhaite que le Viêt-nam bouge un peu plus. Sinon, je pense que je risque fort de m’endormir dans l’ennui et la chaleur!

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