17 mars 2003, Pokhara, Népal
Redescendre du camp de base jusqu’à Pokhara ne fut pas simple. Au Népal, le dal bhat, le plat principal, est servi à volonté. Ianis l’aime bien. Au camp de base, à 4200 mètres d’altitude, il a donc mangé et mangé du dal bhat, il a fini les assiettes de tous dans sa bonne volonté de ne pas vouloir gaspiller et surtout, en réponse à son grand appétit. Mais le lendemain, la bonne volonté s’est transformée en indigestion, et voici le pauvre Ianis, plié en deux. Il a mal au ventre, le dal bhat lui sort presque par les oreilles! Nous sommes quand même redescendus, mais j’ai dû porter le gros sac à dos, d’environ 20 kilogrammes, pendant une journée et demi. Chaque pas nous tirait toute notre énergie. Une descente longue de deux jours, jusqu’à ce que nous accueillent des eaux thermales et que l’indigestion de Ianis se replace!
C’est ainsi que nous sommes revenus vers Pokhara. Quelques jours de descente avant d’atteindre la route et la civilisation dite moderne. Je me sentais toute bizarre, assise dans l’autobus qui me faisait parcourir les derniers kilomètres jusqu’à Pokhara. J’avais l’habitude de marcher, d’avancer par moi-même, de me déplacer à la force de mes jambes. Je n’aimais pas du tout cette sensation d’être assise, d’avancer, de regarder par la fenêtre le paysage défiler. Sans aucun effort. Je pouvais même dormir! Mais le confort était absent, comme dans tout autobus népalais. Le regret au cœur, j’ai quitté les montagnes et la marche, je suis revenue dans la civilisation. C’était fini.
Nous avons eu très froid pendant ce trek. Nous nous répétions sans cesse qu’il fallait en profiter, que dans quelques semaines nous serions en Birmanie, là où il allait faire trop chaud. Malgré tout, il nous était difficile d’apprécier nos soirées et nos nuits glaciales.
Après avoir marché ces 400 kilomètres de sentiers, je ne peux qu’estimer davantage les Népalais qui y ont tout transporté et qui continuent de tout y transporter. Ils vivent là-haut, loin de tout. Tout ce qu’ils ont, ils l’ont transporté sur leur dos. Ils connaissent vraiment la valeur de chacun de leurs biens. Contrairement à chez nous où tout nous est donné sans effort.
J'ai marché 22 jours dans les
montagnes.
J'ai marché dans la jungle,
dans des forêts fleuries de rhododendrons, dans des canyons
immenses, des vallées à perte de vue, des rizières
et des paliers cultivés, des forêts dignes des films
d'horreur. J'ai marché dans un désert de montagnes,
balayé par le vent aride, sec et poussiéreux.
J'ai marché dans les
forêts de pins qui me rappelaient étrangement mon
chez-moi, enfouies qu'elles étaient sous la neige.
J'ai marché vers le montagnes, puis dans les montagnes, puis
entourée de montagnes, des montagnes et des montagnes à
perte de vue, des 8000 mètres à portée de main,
des Montagnes.
J'ai marché dans le silence de la neige et de la montagne, seule
avec moi-même, avec pour unique compagnon auditif le crissement
de la neige sous mes pas et le souffle court de ma respiration en
altitude. Le silence, à perte d'ouïe, le Silence.
J'ai marché, et j'ai entendu respirer les montagnes, je les ai
entendues craquer sous le poids de la neige, de la glace, du vent et du
froid, je les ai entendues se rebeller et déclencher des
avalanches.
J'ai marché dans la neige, aveuglée par le soleil qui
brillait et se reflétait sur cette blancheur qui couvrait
l'immensité.
J'ai marché le Népal, j'ai marché dans la Nature,
j'ai marché dans les Montagnes, les yeux grand ouverts dans ce
rêve éveillé.
J'ai marché et j'ai la tête remplie de l'immensité
de la Nature, de sa Beauté et de sa Grandeur. Qu'est-ce que
l'humain s'avère petit à ses côtés!
J'ai marché, 22 jours dans les montagnes, et je n'ai presque
plus peur des ponts suspendus, j'ai des jambes très
musclées et des genoux qui ont fait la guerre.
Arrivée à Pokhara, ce fut un délice d’avoir un bon lit, de prendre une douche chaude, d’être propre, d’avoir du linge propre et de sentir bon. Quel bonheur!
Dès le lendemain, nous sommes sortis dans les rues de Pokhara pour nous y promener lentement, sans savoir que nous étions en plein « Holi festival ». Nous l’avons su dès que nous avons mis les pieds dehors. Tous les Népalais nous attendaient avec des sceaux d’eau et des pâtes de couleur. En moins de cinq minutes, nous étions barbouillés de rouge, de rose, de jaune, de vert, nous sentions le parfum et l’eau sale, nous étions tout détrempés. J’en étais frustrée, depuis presque un mois que je marchais dans les montagnes, ne méritais-je pas d’être propre et de sentir bon?
Évidemment, nous sommes les Blancs, et les Népalais prennent un malin plaisir à nous innonder et à nous beurrer. Il n’y a rien à faire. Si nous sortons, nous subissons le « Holi festival », pas moyen de l’éviter. Je n’apprécie pas, et même pas du tout. Sans doute parce que j’arrive de la montagne. Mais je n’ai d’autre choix que de me laisser faire, de regarder les Népalais, jeunes et vieux, s’amuser dans ce festival étrange. La ville est transformée en véritable carnaval, tout le monde arrose et barbouille tout un chacun. La scène est plus qu’étrange à mes yeux. Aucune retenue sociale n’existe, chacun assaille les passants devant lui. J’observe et je subis, c’est le « Holi festival », une fête hindou. Personne n’arrive à m’expliquer la signification de ce carnaval, alors je me laisse surprendre encore une fois. Jamais je n’aurais imaginé une fête ainsi, et jamais je ne pourrais transposer ce festival dans les rues de Montréal!
Le retour à Pokhara fut pour moi déstabilisant. Un tourbillon de vie : les autos, les bicyclettes, les motos, les gens, les maisons, l’électricité, l’eau chaude. J’en avais perdu l’habitude. Je revenais de vingt-deux jours dans les montagnes, dans un autre monde. La civilisation redevenait trop proche de moi, je ne m’y sentais pas particulièrement bien. Il m’a fallu quelques jours pour m’y réadapter.
Après le paradis de la nature m’attendait l’horreur de l’humanité. De retour dans la civilisation m’attendait la guerre, cette guerre imminente, qui d’une journée à l’autre sonnerait le glas et la mort de milliers d’innocents. États-Unis, Irak, parce que cette fois-ci ce sont eux, mais ce pourrait bien être d’autres pays.
Il y a des hommes,
imbus d'eux-mêmes et de pouvoir,
certains de leur supériorité,
qui jouent à mettre les rois en échec,
qui croient pouvoir contrôler l'échiquier planétaire
confortablement enfoncés dans leur fauteuil.
Il y a la nature, grande, immense, sereine,
belle jusque dans les moindres détails,
forte jusqu'au bout des doigts,
puissante dans sa simplicité.
Il y a ces milliers d'humains,
qui sourient, qui pleurent, qui naissent,
qui meurent, qui rient, qui frémissent,
qui espèrent et qui vivent.
Est-il impossible que tous cohabitent
sur la même planète?
Solidarité, coopération, respect,
sont-ce des mots trop compliqués?
J'ai mal au cœur quand je regarde le monde.
La guerre n'est pas un jeu vidéo.
L'argent ni le pétrole ne sont les Dieux Suprêmes.
Si ces enfants en haillons et maculés de boue
peuvent sourire et être heureux,
j'imagine que je peux croire en l'avenir.
Espérons que ce soit le début
du déclin de l'empire américain.
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20 mars 2003, Katmandou, Népal
Notre séjour au Népal se termine demain. Un mois et demi qui prend déjà fin.
Après l'Inde, le Népal fut facile, simple, organisé. À première vue, on s'y est cru chez nous, tout est planifié pour le touriste, pas le moindre choc culturel. Et en fouillant au-delà des apparences, j’ai découvert un peuple très chaleureux et très accueillant, des traditions bouddhistes et hindouistes des plus intéressantes et un pays de montagnes tout simplement superbe.
Ce relief montagneux fait en sorte que les gens vivent isolés, dans des villages lointains, et que les routes sont quasi absentes de tout le Népal. Il faut donc marcher pour aller d'un village à l'autre, il faut marcher pour faire du commerce, il faut marcher pour tout. Et pourtant, il s’avère impossible au Népal de trouver des cartes exactes de la région ou des descriptions de la route. Les gens d'ici n'ont tout simplement pas besoin d'une carte, puisque les sentiers, ils les connaissent, ils les parcourent depuis des générations. Les premiers alpinistes qui sont venus au Népal en ont été bien découragés. Pas de cartes, et, de plus, toutes ces montagnes et ces lieux sacrés qu'il faut éviter et dont on ne connaît finalement presque rien!
Le Népal est devenu touristique depuis une quarantaine d'années seulement. Les infrastructures du tourisme sautent maintenant aux yeux à tous les endroits, et son impact aussi - pollution, mondialisation de la culture, apparition des mendiants, transformation des métiers traditionnels, etc. En haute saison, il peut y avoir de 200 à 300 randonneurs qui parcourent à chaque jour le circuit des Annapurnas - ce doit être absolument horrible. En voyant cette situation, je me questionne sur mon rôle de touriste et sur ses conséquences sur le pays. Le Népal sera bientôt le Club Med du trekking!
L'industrie touristique est en effet la première ressource du Népal. C'est devenu un cercle vicieux, ils ont besoin des touristes, ils perdent en partie leur culture pour avoir plus d'argent. Pourtant, concrètement, une petite proportion des gens seulement vivent du tourisme, même dans les villages et dans les endroits où passent les treks les plus populaires. Les habitants des montagnes ont conservé leur mode de vie traditionnel. Mais un peu partout, les jeunes s’exilent pour aller s’installer dans les milieux touristiques.
Selon les statistiques de l'ONU, le Népal se classe parmi les pays les plus pauvres au monde. En fait, ces statistiques sont principalement basés sur l'argent en circulation dans le pays, c’est-à-dire le produit national brut. Au Népal, une quantité très importante de gens vivent sans argent, isolés dans les montagnes ou dans la jungle. Moi, j'ai trouvé l'Inde beaucoup plus pauvre que le Népal. En Inde, les personnes meurent de faim, meurent de froid, meurent dans la rue, pas au Népal. Je n'ai pas eu ce choc et cette vision extrême de la pauvreté.
Le Népal demeure un superbe pays, mais j'aurais aimé avoir plus de contacts directs avec les Népalais. Malheureusement, ce pays à vocation touristique nous encadre bien dans un monde fabriqué pour le tourisme. Pour ce faire, il aurait fallu marcher, aller loin dans les montagnes ou dans la jungle, hors des sentiers touristiques, avec notre tente, et en saison plus chaude. Un jour j’y reviendrai!
J'ai adoré me retirer aussi longtemps dans les montagnes. C'était la première fois que réalisais un trek aussi long. Ça donne une sensation incroyable que d'être déconnectée complètement de la civilisation, surtout lorsqu'elle en train de préparer des guerres stupides! Voir le chemin parcouru, admirer des paysages variés, vivre au jour le jour, prendre un rythme de marche, déployer des efforts pour avancer, vivre dans la nature, loin de tout, dans les montagnes, dans le silence de la neige. Une expérience tout simplement géniale!
Nous partons demain pour la Birmanie en passant par le Bangladesh, une escale de quatorze heures à Dhaka. Mon frère et Alexandra viendront nous rejoindre en Birmanie, j’ai vraiment hâte! Mais je sais que les quatorze heures d’escale seront longues!
Avant de quitter l’Inde et le Népal et de me plonger dans l’Asie du Sud-Est, je vais décrire rapidement deux sujets qui font partie du quotidien de tout voyageur : la nourriture et les toilettes.
Improvisation libre ayant pour thème : « La bouffe. Inde et Népal. »
En Inde, le met national du nord est le Thali. Il s’agit de riz, de lentilles (dal), de yogourt (curd) et de différentes sortes de légumes, avec des chapatis (pains pitas). Il faut évidemment manger avec la main droite. Les épices parfument la nourriture et pour moi, elles brûlent presque toujours trop mon palais. Les desserts sont vraiment très sucrés et pas très bons. La cuisine indienne offre une grande variété de plats, en général, elle est d’une qualité excellente. Le Dal Bhat, met national du Népal, est une variation amoindrie du Thali : riz, seulement avec dal et légumes. On est toujours servi à volonté et le chili est placé à part, au centre de la table, ce qui fait en sorte que je peux manger sans épice. Par contre, la cuisine népalaise comporte moins de variété que la cuisine indienne, le Dal Bhat se ressemble beaucoup plus d'un endroit à l'autre que le Thali. La cuisine tibétaine et chinoise, très présente au Népal, nous permet de faire varier les menus, de manger des momos, du chowmein et des spring rolls. De façon générale, en Inde et au Népal, la nourriture se résume à trois éléments de base : du riz et une absence de viande et de gras.
Les Indiens et les Népalais sont incroyablement ingénieux, ils cuisinent de tout, loin dans les montagnes ou au désert, sur leur petit feu, qui consomme du gaz, du bois, ou de la bouse de vaches. Avec la venue du tourisme, ils ont aussi développé la cuisine occidentale, et, toujours sur leur petit feu, arrivent même maintenant à cuisiner des pizzas et des croissants!
Thème suivant et logiquement consécutif : « Les toilettes. Inde et Népal. »
Les toilettes indiennes et népalaises sont ce qu'on appelle chez nous des toilettes turques. On les trouve très souvent inondées, i.e. qu'il y a une couche d'eau – ou de je-ne-sais-quoi – partout sur le sol. On s'y trempe les pieds, on s'y accroupit, tout ce qu'il y a de plus agréable quoi! Quand le sol est recouvert de céramique, il faut bien s'aligner, question de ne pas trop s'éclabousser. Il faut aussi faire bien attention de ne pas glisser puisque c'est évidemment toujours mouillé. Un sceau d'eau et la main gauche remplacent le papier de toilette qui n'est pas en usage dans ces pays.
En Inde, les gens n'ont pas véritablement l'habitude d'utiliser les toilettes publiques, les femmes s'accroupissent un peu partout, les hommes se soulagent là où ils peuvent. Il m'est arrivé de sortir de la toilette et de voir deux ou trois femmes faisant leurs besoins sous l'évier! En Inde, j’ai surnommé certaines toilettes « de type écurie ». Pour les hommes, il ne s'agit que d'un mur de céramique sur lequel ils doivent projeter leur envie, et pour les femmes, il s'agit d'une rangée de petits cubicules à trois murs - trois murs, donc pas de porte ni rien - et à plancher incliné. On s'y accroupit, sous le regard de tous, et voilà, ça y est. Le papier de toilette n'existe que pour les Occidentaux. On le retouve joliment aligné au marché en quatre couleurs, rose, jaune, bleu et blanc, question de mettre un peu de couleur dans notre vie.
Voilà, on s'habitue à tout, même aux toilettes. Lorsqu'on arrive en milieu plus touristique, on est parfois surpris de voir des toilettes occidentales! Elles sont par contre très glaciales lorsqu'il fait –10 puisque l'eau y gèle. Finalement, c’est beaucoup moins pratique que les trous par terre!
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