18 juillet 2003, Tuk-Tuk, Danau Toba, Sumatra, Indonésie.

En Bahasa Indonésien, il n'y a aucun mot pour dire « Bonjour ». Ici, les gens s’abordent dans la rue en se demandant comment ils vont (« apa kabar ») et où ils vont (« manu kemana »). Je remarque que dans plusieurs pays asiatiques, quand on rencontre quelqu'un dans la rue, on lui demande où il va. Et souvent, on se préoccupe très peu de la réponse. En bonne Occidentale, cette question me dérangeait beaucoup au début. Qu’est-ce qu’ils ont à toujours vouloir savoir où je vais? Je peux bien aller où je veux! Mais maintenant, j’ai pris l’habitude. Ce n’est qu’une formule de politesse et non une intrusion dans ma vie privée. Et c’est la même chose chez nous, on demande aux gens comment ils vont, on s’attend à ce qu’ils répondent qu’ils vont bien, et sans plus. Les gens sont un peu partout les mêmes, aux quatre coins de la planète.

À Bukit-Lawang, cette fois, nous avons réussi à prendre l’autobus local. De retour à Medan, un autre autobus nous mène à Berastagi. Les autobus d’ici ont une certaine particularité. Il n’y a pas d’allée centrale, que des bancs, d’un bord à l’autre. Il faut enjamber les bancs et souvent même les personnes, pour passer d’une rangée à l’autre. Une fois assis dans l’autobus, il est difficile de bouger, les gens sont entassés et il n’y a aucun espace libre.

Nous sommes arrivés sains et saufs à Berastagi. Sumatra, pays sis sur des plaques tectoniques, est un pays de volcans. Comme nous sommes presque toujours en altitude, la chaleur devient plus supportable. Les paysages vus de l’autobus étaient superbes. Jungle et montagnes.

À Berastagi, l’ascension d’un volcan qui fume encore fut impressionnante. Ça sentait le souffre à des kilomètres à la ronde. Durant notre périple, nous avons rencontré un Américain. Voyageur solitaire, il s’est joint à nous pour la montée. Ç’aurait pu être agréable, s’il n’avait pas été si mauvais marcheur (il tombait tout le temps), si ennuyant et si arrogant. Nous l’avons accompagné du début à la fin, puisque c’était imprudent et dangereux de le laisser seul dans la montagne. J’avoue qu’il a un peu gâché notre excursion avec ses commentaires déplacés.

Je ne comprends pas les gens qui voyagent seuls et qui, pourtant, semblent incapables d’assumer leur solitude. J’ai déjà voyagé seule. Je sais combien il est agréable de rencontrer des gens. Mais ce ne doit pas être le seul but du voyage! Durant tout notre séjour à Berastagi, cet Américain nous a collé aux semelles. C’était plus que je ne pouvais endurer!

De Berastagi, nous avons repris les transports locaux : un autobus, deux camions, un taxi et un bateau, pour nous rendre à Tuk-Tuk au Danau Toba. Plutôt que prendre l’autobus touristique qui se rendait directement au bateau. C’était volontaire. Je voulais voir les gens, la vie d’ici, pour mieux comprendre Sumatra. Dans les stations d’autobus, règne toujours une ambiance et une vie particulière que j’aime beaucoup et qu’on ne retrouve pas ailleurs. C’est souvent l’occasion de rencontrer les gens dans leur vie quotidienne, d’entrer en communication avec eux, par des échanges verbaux ou des gestes. Sur ce point de vue, Sumatra me rappelle l’Inde. Comme il fallait s’y attendre, dans l’autobus, je suis de nouveau la mire de tous les regards, les Indonésiens ne se gênant pas pour me parler et me toucher.

À Sumatra, plusieurs volcans éteints laissent place maintenant à des lacs. Le Danau Toba, l’un de ceux-ci, est reconnu comme étant l’un des plus grands lacs volcaniques au monde. Nous nous sommes arrêtés à Tuk-tuk, un village de l’île au centre du Danau Toba. Plusieurs tribus peuplent l’Indonésie. Le Danau Toba se situe en pleine région Batak. Ce peuple se construit des maisons, sur pilotis, au toit très pointu. Les pointes du toit montent vers le ciel dans chaque coin du paysage, c’est joli comme tout. Même notre hôtel était une maison Batak. Quel agrément de dormir dans cette maison traditionnelle avec vue, en prime, sur le lac!

L’endroit était étrange, abandonné par le tourisme à cause des récentes bombes et des tensions politiques en Indonésie. Plusieurs hôtels, restaurants et magasins, mais aucune trace des touristes. Et comme à plusieurs endroits déjà visités, en moins de cinq minutes, plusieurs habitants nous avaient offert tout ce dont nous pouvions avoir besoin.

Afin de visiter un peu les environs et faire l’ascension du Mont Tele, une des côtes du cratère, nous avons loué une moto. Surplombant le lac et l’île, de là-haut, une vue splendide s’offrait à nous. Ensuite, plusieurs promenades sur l’île nous ont permis d’explorer les environs, d’admirer une fois de plus les maisons des régions Batak ainsi que plusieurs autres artéfacts de leur culture. Ce séjour nous a reposé.

Depuis que je voyage, les pays peu développés me donnent une bonne leçon d'humilité. En effet, je réalise combien l'humain est débrouillard. Les gens d’ici font de tout avec un rien. Ils ne sont pas démunis quand leur grille-pain est brisé comme les pauvres Occidentaux habitués à la technologie. Ils n'ont peut-être ni ordinateur ni téléphone cellulaire, mais ils sont capables de tout réparer et ils font vraiment des miracles! Je m’incline devant leur débrouillardise. Il ne faut pas se rendre dépendant de la technologie et se laisser dépasser par elle, il faut plutôt apprendre à vivre avec et évoluer au même rythme qu’elle.

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23 juillet 2003, Bukkittingi, Sumatra, Indonésie.

Du Danau Toba, nous descendons en territoire Minang Kabau. Nous avons traversé l'équateur mais je ne l'ai pas vu. Nous allons d’abord au Danau Maninjau, puis à Bukkittingi. Dans ces régions, les maisons traditionnelles sont encore plus pointues. D’après les légendes, le peuple de Minang Kabau doit, à une ruse et à un taureau, sa victoire sur d'autres peuples. Toute leur culture représente symboliquement les cornes d'un taureau. Il en est de même de leurs maisons. C'est vraiment unique et superbe.

Au Danau Maninjau, nous avons loué une bicyclette pour faire une randonnée d’environ 70 km autour du lac Maninjau, afin de jeter un coup d’œil sur la vie paisible des habitants de la région. Nous savions que la moitié de ces 70 km n'était pas pavée. Mais je partais confiante, j’en avais vu d’autres, j’imaginais une petite route de terre ou en gravelle. J’étais plutôt loin de la réalité : une piste de grosses roches avec des trous énormes! Nos pauvres bicyclettes! Elles n'avaient pas de suspension. De plus, l’une des pédales était brisée. Avec leurs roues minces, elles étaient plutôt inadéquats pour faire du vélo de montagne! La promenade fut longue et pénible.

À Bukkittingi, une immersion dans la culture traditionnelle Minang Kabau a agrémenté notre séjour. Nous avons assisté à un combat de taureaux, activité traditionnelle de ce peuple. Le combat en soi nous intéressait peu, mais l’ambiance qui régnait nous emballait. Les gens, très partisans, criaient et s’approchaient de très près de ces énormes taureaux. Il y avait très peu de femmes sur place, ce doit être une activité traditionnellement masculine. Et j’avais peur de ces taureaux qui se déplaçaient brusquement, de façon imprévisible. Ils étaient si gros! Je ne me tenais pas dans l’arène comme les trois quarts des spectateurs, je me cachais derrière des pousses de bambou.

Nous avons aussi visité la maison royale des Minang Kabau. Des sculptures et des ornements à couper le souffle. Tout simplement fantastique! Puis, nous avons assisté à un spectacle de danse mémorable. Des danses magnifiques! L’une d’entre elles représentait les arts martiaux où les danseurs s'attaquaient au couteau, et une autre où les danseurs se roulaient dans de la vitre brisée.

Nous en avons profité pour nous promener et flâner dans Bukkittingi, une jolie petite ville toute en montagnes. Le propriétaire de notre hôtel, très sympathique, nous a accueilli chaleureusement. Sachant que nous étions Québécois, il nous informe que sa femme sait faire du pâté chinois! Un Québécois lui avait appris, au hasard d’une rencontre.

Durant mes temps libres, j’ai parcouru le marché pour m’acheter quelques articles de linge propre, en me disant que ce serait utile pour mon retour au Québec. Mais, avec mon 1m 64, je suis plus grande que tous les Indonésiens, hommes et femmes! J’en ai donc fait rire plus d’un. Tous les pantalons que j’essayais étaient trop petits pour moi, même les extra-larges. Les hommes et les femmes venaient à côté de moi, tous m’entouraient et riaient. Chacun se mesurait à ma grandeur comme si j’étais une géante!

Le temps passe rapidement, déjà trois semaines que nous sommes en Indonésie. Et dans moins de deux semaines, je serai de retour au Québec! Demain, nous remontons le chemin parcouru pour nous rendre d’abord à Medan, puis à Penang en Malaisie. Une longue route. Trois courtes semaines passées à Sumatra ne peuvent pas nous donner une juste image de l'Indonésie. C’est un si grand pays, de si nombreuses îles et volcans, et tant de tribus. Sumatra est une île sauvage, peu habitée, avec une jungle, des volcans, des montagnes. D’une superficie petite, ses plus hauts sommets atteignent cependant les 4000 mètres. Tout est montagneux et les routes sont plus que sinueuses. Moi j'aime bien, on dirait des montagnes russes. Mais ça donne mal au cœur à Ianis. Sumatra est également le pays de la culture du caoutchouc, de la cannelle, du café et des clous de girofle.

Après autant de temps passé en pays asiatiques, il y a plusieurs petits détails auxquels je suis habituée, auxquels je ne prête plus la moindre attention. Les marchés dans la rue, la vie à l’extérieur, les chiens qui dorment n’importe où, les personnes qui font leurs besoins un peu partout, les gens qui rotent et qui crachent en faisant tellement de bruit que j’ai chaque fois l'impression qu'ils vont mourir, sans oublier l'habitude de négocier pour le moindre achat. Ces situations, je ne les remarque plus, elles sont devenues mon quotidien. Je me demande comment ce sera, de retour chez moi. Quand je regarde des émissions occidentales à la télévision, je suis maintenant estomaquée de voir des personnes aussi peu habillées et montrant autant de peau.

Tout au long du voyage, j’ai pu constater que les Asiatiques de presque tous les pays que nous avons visités avaient une très bonne connaissance générale du monde. Et même du Canada, situé à douze heures de décalage horaire. Ils connaissent Toronto, Montréal et Vancouver. Ils sont au courant que le Canada est bilingue et que les francophones habitent le Québec. Et, surprenant, plusieurs savent aussi qu'on a un premier ministre et non un président. Et ce, même dans des villages très reculés où  les gens ne parlent même pas l’anglais! Quand les gens me posent des questions sur le Canada, elles concernent habituellement le mouvement souverainiste au Québec ou encore la situation des Amérindiens au Canada. Il semble que ce soient là les situations canadiennes les plus intrigantes quand on vit à l’autre bout du monde.

La situation internationale actuelle, teintée de terrorisme, a fait déserter le tourisme en Indonésie. C'est vraiment triste, toutes ces infrastructures où les gens ont beaucoup investi. Les Indonésiens crèvent de faim maintenant. Ils courent après les touristes au point où nous nous sentons mal à l’aise de refuser à l'un pour prendre à l'autre, surtout quand nous savons que ce sera peut-être leur seule vente de la semaine. C'est triste cette dépendance face au tourisme! Nous avons vécu une situation identique au Népal. Quand le tourisme diminue, l’économie s’effondre.

Dans un pays musulman, les conséquences des hostilités déclenchées entre les Américains et les musulmans sont très visibles. Les Indonésiens le disent ouvertement: « il n'y a pas de touristes américains ou anglais, ils ne sont pas assez braves pour venir ici ». En fait, les seuls touristes Américains qui viennent se font passer pour des Canadiens. Même si je ne suis pas en accord avec les politiques américaines, je n'ai pas trop envie de participer à ces conversations qui contribuent à amplifier un climat de haine entre deux camps hostiles, ce qui ne peut qu’augmenter la violence mondiale. De toute façon, je ne suis pas non plus d'accord avec les actions terroristes et les bombes lancées à Bali et à Jakarta. Finalement, ça devient difficile de se positionner. Parfois, mieux vaut se taire je crois.

Si je compare avec les autres pays asiatiques visités, je remarque que le regard posé sur nous, les Blancs, est différent. Seulement les hommes nous parlent, très rarement les femmes, et ils parlent tous à Ianis. Quant à moi, je suis le centre d'attraction, comme je ne l'ai jamais été auparavant. Ils ne parlent qu'à Ianis mais ils ne regardent que moi, de la tête aux pieds sans la moindre discrétion, moi, la Blanche. 

Même si la majorité de la population est musulmane, on rencontre de nombreuses communautés chrétiennes à Sumatra. Au nord-ouest de l’île, à Aceh, la cohabitation inter-religieuse est tumultueuse et suscite de nombreux conflits. Mais dans les régions de Sumatra où nous sommes allés, les églises et les mosquées se retrouvent côte à côte. C’est une image que j'aime bien. Une réalité qui me donne l'espoir que la tolérance pourrait peut-être exister sur une plus grande échelle. Et la paix même, pourquoi pas. Souhaitons que ce ne soit pas qu’un rêve.

Ce qui est étonnant, pour ne pas dire frustrant, en pays musulman, c’est que pendant un trajet en autobus, nous devons nous arrêter pour répondre à chaque appel de la prière. Et ce, même si nous ne sommes qu'à quelques kilomètres de notre destination!

Sur quelques points, l’Indonésie nous a rappelé l’Inde. La nourriture y est aussi épicée, à mon grand malheur. Et l’on mange aussi avec la main droite, ce qui est bien agréable. On y retrouve aussi des toilettes turques. Sauf qu’en Indonésie, elles sont moins pudiques et moins intimes mais par contre, plus propres. Les toilettes sur le bord de la route ne consistent souvent qu’en trois murs entourant un ruisseau. On s’y accroupit, à la vue de tous. Il ne reste qu’à se dire qu'on est tous fait pareils et oublier notre pudeur d'Occidentaux! Les toilettes pour femmes, des trous par terre, cordés comme des urinoirs sans mur ni porte. Pas trop le choix de s’y accroupir pendant que la voisine nous tient la conversation! Le papier de toilette est ici une notion abstraite qui ne semble pas trouver d'application concrète. Finalement, à d’autres endroits plus retirés, au bord des routes, rien de plus qu’un ruisseau. Il suffit de s’accroupir. Fait cocasse : comme Blanche, j’ai droit à la présence d’une ribambelle d’enfants accompagnés d’adultes qui me fixent du regard pendant tout ce temps, par curiosité j’imagine. Eh oui, je suis comme vous, moi aussi je vais aux toilettes! Même si ce ruisseau est très loin du concept des toilettes que je connais!

Alors que la possession de drogue est illégale et gravement punie partout en Indonésie, dès qu'on entre dans des milieux plus touristiques, on retrouve partout des pancartes annonçant les « magics mushrooms ». On se fait offrir de tout, tout le temps, marijuana, hash, cocaïne, héroïne, ecstasy. Je n'ai vu ça nulle part ailleurs. L’achat de drogue par les touristes est un marché qui semble lucratif. Mais je n'y comprends rien. La peine de mort pour le trafic de drogue. La publicité explicite pour les touristes. Je veux bien croire que la police n'en veut pas aux touristes, mais je me dis que d'une manière ou d'une autre, un Indonésien est en danger de mort quelque part! Il y a comme une incohérence.

En onze mois de voyage, nous avons fait plusieurs découvertes culinaires. Le plus amusant dans cette aventure, c’est la surprise éprouvée à la vue du plat que nous avons commandé, partout en Asie. Ça ne se ressemblait jamais d'un endroit à l'autre, même si le plat portait le même nom. Surprise agréable parfois, désagréable d'autres fois. Quand nous achetons dans la rue, nous pouvons voir ce que nous allons manger. Alors nous nous imaginons un goût. Par exemple, une saveur pour un biscuit ou pour un gâteau. Mais, très rarement ce goût correspond à celui que nous avons imaginé! Parfois meilleur, parfois moins bon. Mais somme toute, la découverte de différentes traditions culinaires est toujours passionnante. Par contre, je me serais facilement passé de la « fish sauce » et de la pâte de poisson que je trouvais indigeste. Et comme par hasard, on en retrouvait dans tous les plats préparés en Birmanie, en Thaïlande, au Laos, au Viêt-nam, au Cambodge, et parfois même en Indonésie! En contrepartie, j’ai adoré les plats préparés dans le lait de coco, tout simplement excellent.

Après cette dizaine de pays visités, je constate qu'il y en a deux où j'aimerais vraiment revenir. L'Inde, où tout est tellement différent, déstabilisant et envoûtant. L'Indonésie, pour découvrir les centaines de tribus différentes avec leur culture fascinante et les paysages volcaniques tout simplement magnifiques. L’Indonésie est si vaste, une ribambelle d’îles, et je n’en ai parcouru que la moitié d’une!

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