20 octobre 2002, Montréal, Québec

J’ai acheté aujourd’hui un cahier, un bon gros cahier rempli de pages blanches. Des pages blanches, ce peut être pratique, me suis-je dit. Je peux les noircir de mes émotions, je peux les farcir de mes idées, je peux les barbouiller de mes aventures.

Dans quelques jours, c’est le grand départ. Ianis et moi, deux sacs à dos plus ou moins pleins, une année, et l’Asie devant nous. Notre plan n’est pas vraiment établi. Nous arriverons en Thaïlande, d’où nous partirons pour l’Inde. Puis, nous verrons. Les idées fourmillent dans notre tête. Nous verrons en temps et lieu. Tout ce dont nous sommes certains, c’est que nous reviendrons de Bangkok ou de Kuala Lumpur à la fin de l’année. Que l’aventure et la découverte guident notre route, ainsi soit-il. J’aime bien cette indétermination, j’aime bien me laisser aller au rythme de la vie.

Je suis à quelques jours de mon départ. Il y a tous mes amis autour de moi. Tout mon Montréal, tout mon Québec. J’ouvre les yeux grands. J’essaie d’avaler chaque moment, de l’absorber, de le garder en moi, qu’il refleurisse dans mon cœur comme un souvenir qui me réchauffera au fin fond de l’Asie. J’ai peur de l’ennui. Je regarde autour de moi comme si je ne faisais déjà plus partie de ce pays, je flotte quelque part entre deux mondes. Je suis à la fois détachée et absente de la réalité qui se déroule autour de moi. Mais aussi présente comme jamais, je sens que chaque millimètre de mon corps manifeste sa présence, je suis ici, avec vous, entièrement. Je profite pleinement du moment présent. Dans quelques jours, je n’aurai plus de chez moi. Je serai nulle part, je serai partout.

Je suis incapable de définir comment je me sens. J’ai l’impression d’éprouver tous les sentiments en même temps.

J’ai envie de crier, j’ai les larmes aux yeux, j’ai envie de voir le monde, j’ai envie de rester chez moi. J’ai envie de tout, je n’ai envie de rien. Je m’investis dans le maintenant et je garde mes rêves pour plus tard. J’ai sous les mains des centaines de pages blanches pour les étaler.

Au revoir. Je vous aime. Bonne année. Vous êtes avec moi, vous serez toujours avec moi, vous voyagerez dans mes yeux et dans mon cœur. Je vais me plonger dans l’Asie, je vous écrirai, je vous éclabousserai. Je divertirai vos froides soirées d’hiver.

Un dernier mot avant de partir, une phrase de La Rochefoucauld que je m’efforce de vivre, que je vous laisse pour que vous l’ayez en souvenir de moi : « Qui vit sans folie n’est pas aussi sage qu’il croit. »

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