29 mai 2003, Hanoi, Viêt-nam
Dans l’autobus de Tadlo à Savannaketh, nous avons vu pour la première fois un Laotien se fâcher. Il a même haussé le ton, parlé très fort, et mis une personne en-dehors de l’autobus. Les Laotiens ne se fâchent jamais. Perdre patience signifie pour eux perdre leur dignité. Je crois que nous avons été témoins d’un événement unique!
Trente-six heures d’autobus pour nous rendre du Laos au Viêt-nam, de Tadlo à Hanoi. Trente-six heures! C’était tout simplement interminable. J’avais mal partout, je ne savais plus dans quelle position m’asseoir. Je réfléchissais à ma situation, me rendant compte que chez nous, je n’aurais jamais pu imaginer m’asseoir trente-six heures dans le même autobus! C’est incroyable de réaliser que j’ai passé une journée et demie assise dans un autobus. Une journée et demie. C’est immensément long, même si ce n’est rien à côté d’une vie.
Ici, le temps prend une autre dimension. Je ne le perçois plus de la même façon que lorsque j’étais chez moi. Je me souviens qu’à Montréal, je considérais comme très long un trajet de quarante-cinq minutes en métro, ou de deux heures en autobus. Ici, je commence à trouver le temps long après vingt-quatre heures. Impensable. Assise dans cet autobus, je n’arrive même pas à imaginer, à comparer ces deux réalités distinctes : chez moi et ici. Je me rends compte à quel point je me laisse influencer par le milieu dans lequel je vis. Ici, je me sens fatiguée après vingt-quatre heures, chez moi, après trente minutes. Suis-je la même personne? Il faut dire qu’ici j’ai le temps. Mauvaise raison. On a toujours le temps, il suffit de le prendre. À Montréal, je prendrai le temps de vivre. Je me le promets, ici, maintenant, assise dans un autobus, roulant entre Tadlo et Hanoi.
Traverser les douanes vietnamiennes constitue un événement tout à fait spécial. Il nous a fallu un bon deux heures et ce, dans une désorganisation exemplaire. Nous montons et descendons de l’autobus un nombre impressionnant de fois, nous montrons notre passeport à une bonne dizaine de militaires différents, nous assistons à plusieurs fouilles des boites et des bagages que contient l’autobus. Et aux douanes comme telles, les douaniers recueillent les passeports de tout le monde, les estampent, et ensuite crient les noms des passagers pour leur redonner leur passeport. Pas évident quand il y a plus de cinquante Vietnamiens qui se bousculent pour être le plus près possible du douanier et que celui-ci ne sait pas du tout comment prononcer ton nom. Et il ne faut pas franchir les douanes une seule fois, mais bien deux fois. D’abord pour sortir du Laos, puis pour entrer au Viêt-nam.
Pendant ces trente-six heures d’autobus, les douanes étant fermées, nous avions eu la chance de nous arrêter, au milieu de nulle part, entre 2h et 5h du matin. Pourtant, les douanes ouvrent tous les jours à la même heure mais les autobus partent tous les jours à la même heure. Inévitablement, les autobus arrivent tous les jours vers 2h du matin et doivent attendre l’ouverture des douanes. Je pense que je ne comprendrai jamais. Nous avons dormi dans l'autobus au bord de la route. Tout ce qu’il y a de plus confortable. À 6 heures du matin, nos deux chauffeurs buvaient une bonne bière pour se réveiller. Rassurant.
Nous avions entendu parler du Viêt-nam par des touristes. On nous a dit que les Vietnamiens étaient très harcelants, très fatigants, qu'ils voyaient les Blancs comme des « signes de piastre ambulants » et qu'ils nous chargeaient à peu près 400% ou même plus par rapport aux vrais prix vietnamiens. Il paraît que tout au Viêt-nam se visite en excursion organisée, en groupe de touristes, et qu’il est donc difficile de voir et de parler à des Vietnamiens.
Assise dans l’autobus, je me demande vraiment comment j’entrerai en contact avec le Viêt-nam. La vision qu’on m’en a donnée ne me rassure pas, je n’aime pas être enfermée dans des circuits touristiques. Mais mieux vaut laisser la chance à ce pays de se laisser connaître, je jugerai par la suite.
De la fenêtre de l’autobus, le Viêt-nam me semble de prime abord très familier. Je me questionne et je comprends alors pourquoi. C’est la première fois en huit mois que je me retrouve dans un pays qui utilise notre alphabet. Quelle différence! Je peux lire tout ce qui est écrit sur les pancartes, même si ce que je lis n'a aucun sens. De plus, trois situations nouvelles me frappent : je vois des rizières partout, des gens partout, et des motos partout.
Hanoi. Finalement! Ici, tout bouge. Des Vietnamiens, des motos et des bicyclettes fourmillent sur la rue. Hanoi est une ville très développée mais dont le caractère vietnamien est omniprésent. La culture typique de ce pays est nettement visible, nous ne sommes pas dans un endroit qui s’est trop occidentalisé, nous ne sommes pas dans n’importe quelle grande ville du monde, nous sommes à Hanoi. J’aime bien. Des chapeaux chinois et des chapeaux verts nous rappellent qu’il y a eu la guerre du Viêt-nam.
Immobile sur le bord de la rue, je regarde avec stupéfaction le flot continu des motos. Maintes et maintes motocyclettes, mais aucun feu de circulation. Les motos se croisent aux coins des rues, comme par magie. Je me suis sérieusement demandée comment je ferais pour traverser la rue. Je me suis dit que j’allais attendre une accalmie. Après une vingtaine de minutes, j’ai bien réalisé que ce calme n’arriverait jamais et qu’à ce rythme, j’allais passer la journée sur le côté de la route. Alors j’ai décidé d’observer et d’imiter les Vietnamiens. J’en conclu qu’il faut traverser la rue lentement, à un rythme constant. Et, fait incroyable, toutes les motos passent autour de nous, parfois de très près, mais toujours autour de nous. Autour. Incroyable! Les Vietnamiens ignorent ce qu’est un feu de circulation, ils n’ont pas besoin de réglementer leurs déplacements. Ce qui semble, au premier coup d’œil, chaotique est en fait bien ordonné.
Les Vietnamiens parlent le vietnamien, l’anglais et le français toujours sur le même ton et avec le même accent. Je me souviens avoir rencontré des Vietnamiens à Montréal et avoir d’ailleurs déjà constaté ce fait. Si bien que ça me prend souvent un bon deux minutes avant de décoder quelle langue ils utilisent. Plusieurs d’entre eux parlent français, encore plus qu’au Laos. Je n’y suis pas encore tout à fait habituée, mais j’aime bien me faire répondre en français, même si c’est dans un accent incompréhensible!
En arrivant au Viêt-nam, je m'attendais à découvrir un pays communiste, avec les restrictions et le rationnement comme à Cuba. Pas du tout. J’y trouve de la vie et de tout. J’en suis agréablement surprise.
Je constate également que les touristes payent tout tellement trop cher. Nous étions habitués de négocier agressivement en Inde et au Népal, nous avions perdu l’habitude en Birmanie, en Thaïlande et au Laos. Ici, on nous demande des prix tout à fait exorbitants avec le sourire aux lèvres, parfois mille fois le vrai prix. Il nous faut vraiment négocier. Mais ce que je ressens surtout, c’est un sentiment de je-m’en-foutisme par rapport aux Blancs. Alors qu’ailleurs, les gens sont intéressés par l’Occident, je sens ici que les Vietnamiens sont bien chez eux, qu’ils veulent préserver leur territoire et qu’ils ne veulent surtout pas être envahis par les Blancs, touristes ou pas. Les Blancs sont loin d’être perçus comme des êtres supérieurs envers lesquels il faut bien se comporter.
Probablement que cette attitude a des racines historiques. Au cours des cent cinquante dernières années, les Blancs, d’abord les Français, puis les Russes et les Américains, sont débarqués au Viêt-nam pour faire la guerre et les inciter à se battre entre eux. Les étrangers se sont déclarés maîtres d'un pays qui possédait une vaste culture, une grande dynastie et une longue histoire. Normal alors que les Vietnamiens soient maintenant méfiants envers les Blancs et qu'ils ne les voient pas comme des êtres supérieurs. Peut-être se sont-ils dits que les Blancs allaient payer pour la guerre qu'ils leur avaient fait subir : « si vous voulez visiter le Viêt-nam, vous allez vous battre pour aller où vous voulez et pour payer des prix raisonnables! ». C’est mon interprétation toute subjective de cette agressivité et de ce je-m’en-foutisme envers les touristes blancs. Vu de cette façon, je comprends leur attitude. Et j’aime bien le Viêt-nam, j’aime bien cet esprit fort d’indépendance et de fierté.
Je commence à en avoir assez de manger du riz. Peut-être parce que c’est mon menu deux fois par jour, depuis huit mois. J'appréciais le riz collant du Laos mais il n'y en a pas ici. Dommage! Je vais m’exercer à manger avec des baguettes vu qu’ici on n’utilise que ça. J’ai intérêt à m'y habituer si je ne veux pas mourir de faim.
Hanoi ressemble beaucoup à l’image que je me fais de la Chine. On retrouve d’ailleurs un peu partout une nette influence chinoise. Par ces quelques lueurs, je me dis que la Chine doit être un pays fascinant. Une autre fois!
À Hanoi, nous sommes allés voir un spectacle de marionnettes sur l'eau, art vietnamien qui date du XIe siècle. C’était très impressionnant. J’aime beaucoup ces spectacles traditionnels. Ils me transportent très loin de ma culture et me rappellent, encore une fois, à quel point la diversité culturelle de notre planète est riche et belle.
Nous nous sommes bercés pendant deux jours, en croisière sur la Baie d’Halong. Une des merveilles naturelles du monde. Des immenses parois rocheuses qui sortent, comme des flèches, d’une mer émeraude. Splendide. Cette visite ne pouvait se réaliser qu’en excursion touristique. Mais le paysage était tellement magnifique que je parvenais à oublier les trente touristes qui étaient autour de moi. Mais même si le paysage de la baie d’Halong m’a fasciné par sa beauté, je n’ai encore rien appris sur le Viêt-nam. D’ailleurs, je n’ai même pas encore eu la chance de parler à un seul Vietnamien. Deux jours comme ça, ça va, mais pas plus.
En fait, je trouve tout à fait normal qu’un pays, comme le Viêt-nam, mette en valeur ses richesses naturelles et organise des excursions touristiques pour les faire visiter. Je n’ai rien contre, je laisse ces excursions à ceux que ça intéresse. Ce qui me dérange vraiment, ce sont des lieux comme beaucoup d'endroits en Thaïlande, Vang Vieng au Laos et Goa en Inde, où l’on a développé des complexes touristiques avec discothèques, raves, néons et musique jusqu'à 3h du matin. Ces faux paradis n’ont aucun lien avec la culture locale. Ils importent tout simplement une façon de vivre occidentale. C'est une invasion de l'Occident dans ces coins d'Asie qui permet à une catégorie de touristes de venir faire la fête dans un coin paradisiaque sans être le moindrement dépaysés. Et surtout, en leur évitant un vrai contact avec la vie parfois moins idéale des gens locaux. Moi, ça me répugne, pour ne pas dire me dégoûte. J’ai honte d’être Occidentale quand je visite ces lieux touristiques.
À Hanoi, j’ai aussi retrouvé internet. Depuis Vientiane, nous en étions privés. Quel plaisir! Je me suis rendue compte que je m’ennuyais beaucoup de mes amis et parents et que leurs conversations cybernétiques me manquaient. J’ai hâte de revoir les gens du Québec.
Afin d'éviter les visites touristiques officielles, nous décidons de partir pour six jours en moto avec un guide, Phuong, dans le Nord-Est du Viêt-nam. Nous partons demain avec nos trois motos, j’ai hâte!
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5 juin 2003, Hanoi, Viêt-nam
Conduite de moto manuelle 101, 201 et 301. Cours combiné et intensif réalisable sur une durée de trois jours.
Avis préalable à tous ceux qui voudraient offrir ce cours
Les conditions idéales pour la réalisation de ce cours se retrouvent au Viêt-nam, puisqu'en tout autre endroit du monde, il serait difficile de retrouver sur une distance aussi restreinte toutes les conditions nécessaires. Il est possible que cet ensemble idéal se retrouve aussi en Chine, mais nous ne pouvons l’affirmer en toute certitude, n’ayant pas eu l'occasion de le vérifier.
Le choix de la moto que conduira l'étudiant est primordial. Ici, est conseillée l'utilisation d'une moto « Minsk », d’authentique fabrication russe, de 125 cc. Cette moto a l'avantage d'être tout à fait rustique et de permettre un apprentissage accéléré dans des conditions plus difficiles. En effet, les Russes ont supprimé sur cette moto tous les accessoires qu'ils considéraient « pas totalement essentiels ». Alors, les motos Minsk n'ont pas de clé de démarrage, ni de cadran de bord indiquant la vitesse ou le niveau d'essence, et elles n'ont qu'un seul rétroviseur. De plus, elles possèdent l'avantage certain d'être très imprécises dans les changements de vitesse. Il est souvent plus facile de trouver le neutre que la troisième ou la quatrième vitesse, et lorsque la moto circule sur une route cahoteuse, il est possible que les vitesses changent par elles-mêmes.
Plan de cours
Apprentissage de la première journée
Un petit essai de familiarisation avec la conduite d'une moto Minsk, dans un espace calme et asphalté, débutera la première journée. Cet apprivoisement peut durer jusqu'à trois heures.
Puis, les apprentis pourront tester leurs connaissances nouvellement acquises lors d'une ballade d'une vingtaine de minutes dans les rues d'Hanoi. Ici s’impose une petite description des rues d'Hanoi. En effet, dans les rues d'Hanoi se retrouvent une quantité incroyable de motocyclistes et de piétons, et tous circulent et se croisent sans le moindre feu de signalisation, dans une anarchie totale et complète, qui ressemble à de la magie. Ainsi, les étudiants pourront véritablement et très concrètement tester TOUTES les connaissances nouvellement acquises.
Apprentissage de la deuxième journée
Quelques heures de repos et la deuxième journée commence. Affronter à nouveau le chaos de la ville permet, encore une fois, d’améliorer rapidement les réflexes des étudiants. Ceux-ci doivent réussir à quitter Hanoi sans encombre.
Puis, les étudiants emprunteront l'autoroute 4. Une fois de plus, s’impose une description de l'autoroute 4. En fait, un chaos et une anarchie encore plus totale que dans les rues d'Hanoi règnent sur cette autoroute. Concrètement, sur cette route à deux chaussées sans terre-plein, circulent bicyclettes, piétons, motos, vaches, camions, canards, chiens et autobus. Le tout, dans la confusion la plus inimaginable.
Afin de bien survivre à cette étape du parcours, voici quelques conseils à donner aux apprentis. Premièrement, ils devront d'abord partir du principe suivant: tous les usagers de la route circulent à une vitesse différente, mais relativement constante. À partir de cette hypothèse, les étudiants pourront prévoir la trajectoire de ces différents utilisateurs, et ainsi ajuster la leur. Évidemment, ils doivent veiller à ne pas briser cette règle et à rouler eux-mêmes à une vitesse plutôt régulière. Deuxièmement, les débutants auront probablement l’impression de recevoir beaucoup trop de stimuli, ce qui peut nuire à leur concentration. Il leur est donc conseillé de procéder à un discernement discriminatif des stimuli. Par exemple, il sera tout à fait louable, pour eux, de ne prêter aucune attention aux coups de klaxon répétés. En effet, les Vietnamiens klaxonnent pour deux raisons principales. D'abord, pour signaler leur présence. Les étudiants se sachant déjà entourés peuvent donc ignorer ces coups de klaxon. Cependant, la plupart du temps, les Vietnamiens klaxonnent, avec soit un sourire ou un signe de la main, tout simplement pour souligner la présence de Blancs au volant d’une moto. Les étudiants connaissant déjà cette réalité peuvent donc n'y prêter aucune attention. Finalement, afin de faciliter leur conduite sur l’autoroute 4, il est conseillé aux débutants de faire abstraction de tous les bruits ambiants et de les remplacer dans leur tête par une musique de « Mario Bross » ou d'un quelconque jeu « Nintendo », ce qui leur permettra de circuler beaucoup plus librement en diminuant leur niveau de stress, puisqu'ils se sentiront dans un milieu familier. Il serait d’ailleurs très plausible que les inventeurs de ces jeux vidéos se soient inspirés de l’autoroute 4 au Viêt-nam.
Apprentissage de la troisième journée
Peu importe l’ordre, voici quelques expériences à réussir, soit dans la troisième journée, soit dans la journée précédente.
Rouler pendant plusieurs kilomètres sur les routes campagnardes, qui ne sont pas plus larges qu'une auto, et ainsi apprendre à partager l’espace avec les principaux usagers de ces routes: les troupeaux de vaches, les cyclistes et les bandes de canards. À retenir : les vaches et les canards ont parfois des réactions des plus imprévisibles. Sur ces routes campagnardes, les étudiants devront aussi éviter de prêter une oreille trop attentive aux cris répétés des Vietnamiens. Ici encore, ils ne veulent que souligner la présence des Blancs en moto.
Traverser quelques rivières, trois ou quatre nous semble un nombre juste. Bien sûr, la présence d’un pont est ici superflue et diminuerait la valeur de l’expérience.
Faire une trentaine de kilomètres de piste. La piste est un semblant de route qui peut donner l'impression que d'ici une centaine d'années, elle pourrait finalement être empruntée à plus de 5 km/h.
Traverser plusieurs zones de « Cong Truong 5 km/h ». Cette expression, difficilement traduisible, pourrait se paraphraser ainsi: « route présentement en état de destruction en vue d'être reconstruite d'ici les dix prochaines années. Étant donné qu'aucune route secondaire ne nous permet de faire un détour, la route peut être empruntée par toutes les vaches et les motos à une vitesse variant entre 5 et 15 km/h ».
Traverser quelques ponts en très piteux état où les trous sont parfois plus nombreux que les planches.
Effectuer la montée et la descente de plusieurs côtes d'une inclinaison de 10 à 12% sur une distance de 2 à 5 km.
En conclusion
Il n’est pas conseillé aux professeurs de terminer ce cours par un examen. En effet, si les étudiants ont réussi toutes ces épreuves, y ont survécu ainsi que leur moto, sans plus d'embûches qu'une crevaison ou une bougie brûlée par-ci par-là, il nous semble raisonnable de confirmer la réussite de tous les apprentissages du cours.
Suite à la troisième journée du cours, il a été reconnu que les étudiants Maryse Bouchard et Ianis Queval ont réussi les cours « Conduite d’une moto manuelle 101, 201 et 301».
Nous avons fait, en tout, six jours de moto. Les trois premiers ressemblaient à s’y méprendre à la description que je viens de faire de ces cours de moto. Ce séjour dans le Nord-Est du Viêt-nam fut pour moi, d’abord et avant tout, une expérience de moto. Il m’est arrivé tellement souvent de voir devant moi la route ou la rivière, en me demandant comment j’allais faire pour y arriver! Je n’aurais jamais cru que je pourrais conduire une grosse moto comme ça dans des conditions aussi rustiques. Je suis plutôt fière de moi, sans trop de modestie!
Les paysages, tout simplement splendides. Des mers de pains de sucre, ces formations rocheuses comme celles de la Baie d’Halong, mais cette fois surgies des rizières éclatantes. Une merveilleuse aventure que de se balader en moto dans ce décor féerique. Avec toutes ces rizières sans fin, tous les petits coins d’espace vêtus d'un vert éclatant, les gens qui travaillent aux champs en habits traditionnels, les petites maisons de bambou et de pierre, les murets entre les champs, les chutes immenses.
Notre route nous a conduits jusqu'à la frontière chinoise, où il y a d'énormes chutes. Nous nous y sommes baignés, en nageant jusque sous les chutes. Je n'étais jamais allée aussi proche d’une chute et c'était très impressionnant!
Ce mode de transport nous a permis de mieux connaître le Viêt-nam. Notre guide, Phuong, parlait un excellent français. Nous avons traversé de nombreux petits villages et nous avons dormi chez les gens. Nous avons rencontré plusieurs ethnies différentes, et grâce à notre guide qui se transformait en interprète, nous pouvions discuter avec eux.
Nous avons même eu la chance de jouer aux échecs chinois et de jouer aux cartes avec un Vietnamien qui avait trop bu. Cette fois, Phuong dormant déjà, nous n’arrivions pas à nous comprendre mutuellement, et c'était plus que difficile de saisir les règles du jeu qui semblaient changer constamment!
Partout, nous étions le centre d'attraction. Je me revoyais un peu comme en Inde. Les Vietnamiens n’étant pas du tout gênés, ils nous regardaient et nous touchaient. Je crois qu'ils avaient très rarement vu des Blancs. Ils passaient sans cesse des commentaires: « Ce sont des géants! Ils ont le nez tout droit! Ils ont les yeux comme une poupée! Ils ont aussi les cheveux d'une poupée! Mais regarde comme il est grand! Il accroche le plafond! Ils ont la peau toute blanche! ». Et les hommes se plaçaient à côté de Ianis pour rire de sa grandeur et les femmes me touchaient partout, les bras, le ventre, pour voir si ma peau était vraie, et pour la comparer avec la leur!
La coutume veut que pour bien accueillir les Blancs, les villageois doivent leur offrir de l'alcool de riz. Et « Chuc suc khoe » après « Chuc suc khoe » (santé), le seul moyen d'arrêter le rythme des verres d’alcool de riz est de partir, à moins que les Vietnamiens aient assez bu pour s'être endormis dans un coin par terre! Cet alcool distillé maison est plutôt fort!
Nous avons aussi beaucoup conversé avec Phuong. Il avait notre âge. Nous avons comparé nos vies. Nous avons discuté du mariage, des enfants, de nos conceptions réciproques de la famille. Toutes des valeurs vécues bien différemment du Québec. Ici, les gens vivent ensemble, avec leur famille, pendant toute leur vie, souvent dans de très petites maisons. Chez nous, la réalité est autre : les hospices, les appartements, chacun pour soi. Je ne crois pas que je pourrais, du jour au lendemain, vivre comme les Vietnamiens. Mais je me rends compte que notre mode de vie soulève aussi des interrogations. D’où nous vient cet individualisme, cet égocentrisme? C’est loin d’être inné chez l’être humain et c’est aussi loin d’être sain sur le plan social. Comme Occidentaux, nous souffrons beaucoup du mal de vivre. Nous vivons dans une course insensée, dans une rage folle, dans un stress inutile. Nous avons idéalisé notre bulle d’individualité. Nous avons oublié l’importance de nous ouvrir aux autres et de nous intégrer à la vie sociale de la communauté environnante. J’espère me souvenir de Phuong et du Viêt-nam une fois de retour dans la grisaille d’Occident.
Avec Phuong, nous assistons à une petite soirée karaoké tout à fait typique. Nous étions en plein milieu des montagnes, dans une salle perdue, avec une télévision et un micro. Trois personnes, nous trois. Nous avons passé la soirée à chanter des vieilles chansons françaises, sorties d'on ne sait où, et quelques chansons vietnamiennes. Je ne ferais pas ça tous les soirs mais avec Phuong, c'était une expérience spéciale!
Phuong m’a aussi appris quelques mots vietnamiens. De retour à Hanoi, j’étais plutôt fière d’aller au marché et de faire toutes mes emplettes en ne parlant que vietnamien!
Après plus d’une semaine au Viêt-nam, force m’est de constater que les Vietnamiens sont très vivants et pas du tout réservés, ressemblant plus aux Indiens qu’aux Laotiens ou aux Thaïlandais. C'est vrai qu'ils sont parfois plus agressifs et qu’ils veulent nous vendre des tas de choses beaucoup trop chers. Mais il suffit de tourner le tout en blague en parlant vietnamien avec eux, et alors, ils retrouvent le sourire! Question agressivité, rien à voir avec l’Inde ou le Népal! Définitivement, ça vaut vraiment la peine de quitter les sentiers touristiques et d'aller dans les petits villages rencontrer les vrais Vietnamiens.
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