29 décembre 2002, Jaisalmeer, Inde

Après Pushkar, nous avons fait un court séjour à Jodhpur, une journée et une nuit. Nous avons erré d’un hôtel à l’autre avant d’opter finalement pour la seule chambre qui s’offrait à nous : une hutte de bambou sur le toit d’un hôtel. Tout à fait rustique. L’idée était bonne en soi, si l’on oublie qu’on était en plein cœur d’une grande ville bruyante. Ces bruits de la ville, à peine amortis, vont peut-être peupler mes rêves, si jamais, par chance, je réussis à dormir!

Alors que Jaipur était la ville rose, Jodhpur est la ville bleue du Rajasthan. Du haut de l’immense fort qui trône sur la ville, tout est bleu à perte de vue. Les temples de marbre, à proximité du fort, sont aussi un symbole de la splendeur architecturale indienne. Assise le soir, sur le toit de notre hôtel, nous avons vue sur le fort illuminé. C’est superbe. Mais Jodhpur demeure une grande ville. Après le calme de Pushkar, c’est le retour dans l’agitation urbaine.

Nous avons visité le palais du Maharaja de Jodhpur. Quel luxe! Un palais immensément riche où l’on peut dormir pour 150 $ US par nuit. C’est un prix ridiculement élevé par rapport au coût indien de la vie. J’éprouve encore une fois ce malaise de constater les inégalités de la société indienne. Il y a à la fois des gens si riches et des gens si pauvres en Inde…

À Jodhpur, nous avons passé un peu de temps sur internet. Plusieurs de mes amis m’ont écrit à propos d’un reportage sur l’Inde qui avait été présenté dernièrement à Radio-Canada. On y décrivait Jaipur, la cité des humains et des animaux. On y expliquait la réalité de la cohabitation des animaux et des humains dans les villes du Rajasthan et de l’Inde. C’est en lisant ces courriels que j’ai réalisé que cette cohabitation existait vraiment. Malgré les quelques jours à Jaipur, et beaucoup d’autres dans de grandes villes indiennes, cette réalité ne m’avait jamais frappée. Elle fait maintenant partie de ma vie, il me fallait prendre un regard extérieur et occidental pour en saisir le caractère étrange. Il est devenu normal, pour moi, de vivre avec les vaches, les singes, les chiens, les chats, les chèvres, les chameaux, les éléphants. Non seulement cela ne m’étonne pas, je ne le remarque même plus.

Le lendemain, nous avons quitté Jodhpur. Une suite de deux autobus sans le moindre encombre. Je crois que c’est un miracle!

Nous voici à Jaisalmeer, cité en plein cœur du désert du Thar. Une cité dorée, couleur de désert, un immense fort qui ressemble à s’y méprendre à un château de sable. C’est à couper le souffle. Nous avons déniché une petite chambre dans le fort, dans un palace, avec balcon dans les fortifications et vue sur la vieille ville et le désert. J’ai l’impression de rêver tellement c’est beau. Je passerais mes journées assise à regarder le fort, le château de sable, la ville, le désert.

Jaisalmeer est une ville splendide, construite au sein et autour d’un superbe château. Ce château est le plus beau que j'aie jamais vu. Un fort doré, dressé dans le désert, un château de mon enfance évadé des contes de fées.

Il s’agit du deuxième plus vieux fort du Rajasthan, il date du XIIe siècle. C’est le seul fort qui soit encore habité. Ses rues minuscules et entortillées fourmillent d’Indiens, de couleurs et de vie. L’architecture est délicate et minutieuse. Tout est doré, couleur sable. Les ruelles sont magnifiques, on y retrouve des centaines d’Indiens, du linge accroché sur les cordes, des déchets par terre, des vaches, des enfants qui jouent au criquet ou au cerf-volant. J’adore me promener dans le fort. En fait, j’adore tout simplement ce fort tellement il est superbe.

Pendant quelques jours, je ne fais que me promener dans tous les recoins du fort. Hier, alors que nous nous baladions, un Indien nous a interpellé : « Where are you from? ». Réponse rapide, « Canada », mais le voilà qui nous réplique en français : « Oh, Québec, le pays du "tabarnak" »! Perdue quelque part dans le désert indien, j’ai bien ri de ce rappel de mon pays!

Depuis quelques mois, les levers et les couchers de soleil me paraissaient plutôt bizarres. J’ai appris qu’un immense nuage permanent de pollution flotte de la Chine à l’Afganisthan, invisible pendant la journée. C’est ce nuage qui fait en sorte que le soleil se lève et se couche légèrement au-dessus de l’horizon, quelque part dans les airs. C’est à la fois insolite et beau. Mais quand je pense que cet étrange et superbe spectacle est dû à la pollution, je l’apprécie un peu moins.

À Jaisalmeer, comme ailleurs en Inde, la religion est omniprésente. Nous nous rendons souvent à un café internet près de notre hôtel. Le propriétaire, un Hindou, nous salue chaque matin alors qu’il fait tous ses rituels hindous pour favoriser le bon sort, pour s’intercéder des faveurs auprès de Shiva. Il me fait chaque fois sourire avec ses tours d’encens et son point orange dans le front. Je ne vois que contradiction entre ces croyances et la technologie de sa boutique et ses connaissances scientifiques. Mais pour lui, ce double héritage n’est pas contradictoire.

Nous partons demain pour un safari de quatre jours, dans le grand désert du Thar cette fois. Nous reviendrons l’année prochaine.

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2 janvier 2003, Jaisalmeer, Inde

Quelques jours dans l'immensité

Habitée par le silence

Ce silence qui bruisse à mes oreilles

Et que j’ai l'impression d'entendre


Quelques jours dans l'immensité

À fouler de mes pieds l'infini

À voguer sur le dos de mon chameau

Seule et grande dans le désert


Quelques jours dans l'immensité

Balayée par le vent

Souffle de vie qui me rappelle

Que l’humain n'est qu'une poussière


Passer quatre jours dans le désert est une expérience indescriptible en soi. Difficile de la représenter par des mots ou des images. Il s'agit plutôt d'une sensation, d'une impression. Du silence, du vent, de l'immensité, de la chaleur torride pendant la journée, du froid glacial de la nuit, de l'infini du désert jusqu'à l'horizon, de l'infini du ciel étoilé. Mes mots ou mes photos ne sauront jamais traduire la profondeur de ces précieux moments. Je n’ai pu brosser qu’un tableau inachevé de l'intensité et de la plénitude de mon séjour dans le désert.

Subjugués par l’immensité désertique, nous avons vu se lever la nouvelle année. Six étrangers et cinq Indiens assis ensemble autour du feu, nous avions pour nous un peu de rhum et la voûte étoilée. Une petite pensée pour l’Occident, une petite pensée pour les êtres chers loin de nous, puis nous nous sommes mutuellement souhaités une nouvelle année de paix et de bonheur. Un instant magique, quelque part, loin de tout.

Dans le désert, mère nature était un peu déboussolée. Le deuxième jour de notre safari, en fin d’après-midi, le ciel s’est obscurci d’un immense orage de mousson, même si nous étions en plein hiver. La pluie est venue nous saluer, une pluie qui n’était pas tombée depuis des mois au Rajasthan. Lentement, nous avons vu les nuages monter, le ciel s’obscurcir, les couleurs changer. Nous avons trouvé refuge dans une petite maison de sable dans les environs sous une pluie battante, un orage incroyable. Quelle expérience unique! Le sol détrempé s’est ensuite asséché rapidement dès le retour du soleil éclatant.

À dos de chameau, nous avons traversé quelques petits villages. Des villages de différentes castes, dont certains d’Intouchables. Le système des castes est encore profondément ancré dans les communautés indiennes. Encore plus présent dans les villages que dans les villes. Je n’appréciais pas trop ces visites de villages qui se donnaient en spectacle pour les touristes. Je préférais le silence du désert.

Un de nos guides était particulièrement sympathique. Né dans un village du désert du Thar, il a eu la chance de voyager, de visiter l’Inde et le Népal avec sa femme. C’était un plaisir de discuter avec cet homme. Il nous racontait sa vision de l’Inde. Il nous disait qu’il aurait pu aller vivre en ville, continuer à faire de l’argent et à voyager. Mais ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était l’immensité du désert, c’était son chameau. Il a donc choisi de retourner dans son village natal et de guider des safaris.

Ces quatre jours, ce furent mon safari, mon désert à moi, mes dunes, mon silence et mon chameau. La vie paisible du désert et le temps qui s’écoule doucement. Maintenant, je retourne dans la civilisation. 2003, une année toute neuve devant moi, le monde à refaire. Le monde à refaire? Je verrai si j’y crois encore une fois de retour dans le monde. Je verrai si ça vaut le coup. Mais aujourd’hui, je suis comblée par le silence du désert. Il y a en moi une force de vie, un espoir puissant, une paix régénératrice. Aujourd’hui, j’ai envie de refaire le monde.

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1 Le dhoti est un grand drap que les hommes enroulent autour de leurs jambes, qui forment une sorte de couche immense et qui leur sert de pantalon.

2 Cigarettes indiennes.

1 Maîtres.


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