12 décembre 2002, Dharamsala, Inde

Je suis à Dharamsala depuis déjà plus d’une semaine. Ce séjour m’a permis de mieux connaître la réalité de l’exil tibétain et d’ainsi réajuster ma première impression. Je me rends compte que même si la société tibétaine vit dans une certaine richesse, elle demeure très près de ses traditions. Quoique les jeunes soient de plus en plus attirés par l’Occident, ils sont encore croyants et connaissent bien l’histoire de leur peuple. Ainsi, même si la société semble très occidentalisée au premier regard, les Tibétains ont conservé leur culture.

Depuis mon séjour au monastère bön, je m’intéresse de plus en plus à la philosophie bouddhiste. Plusieurs Bouddhistes et beaucoup d’Occidentaux étudient à Dharamsala, j’en ai donc profité pour discuter avec eux. J’ai aussi pris quelques cours sur le bouddhisme, donnés par les plus grands lamas1 du bouddhisme tibétain. Je suis même allée rencontrer Sa Sainteté le XVIIe Karmapa dans une salle pleine de Tibétains en prières.

En fait, le bouddhisme tibétain a cinq branches. Le Dalaï Lama est le chef d’une de ces branches, alors que le Karmapa est le chef d’une autre. La religion bön est maintenant reconnue comme la cinquième branche de ce bouddhisme. Et, d’après ce bouddhisme, le Karmapa est la dix-septième réincarnation d’un bouddha. Il n’a maintenant que 17 ans. Il s’est enfui de Chine, il y a deux ou trois ans et il vit maintenant en résidence surveillée en Inde. Afin d’entrer dans la salle où il nous rencontrait, nous avons dû passer devant des gardes avec des mitraillettes et même faire fouiller nos sacs! Il me semble que cette mise en scène détonnait complètement avec le caractère pacifique du bouddhisme!

En regardant ce jeune tibétain de 17 ans, je n’arrivais pas à croire qu’il était la réincarnation d’un bouddha illuminé. Il avait pourtant l’air vraiment d’un sage du haut de ses 17 ans, alors qu’il nous prodiguait de savants enseignements sur le bouddhisme. Je réalise que je n’arrive pas à imaginer que la réincarnation soit possible, mon esprit se ferme complètement face à cette croyance. Je crois que ma perception de la vie et de la mort est en fait tributaire de ma société et de ma culture occidentale. Si pour moi la réincarnation est si étrange, pour les gens d’ici, l’absence de réincarnation a la même incongruité.

Après avoir étudié un peu la philosophie bouddhiste tibétaine, je la trouve très intéressante. Pour moi, elle n’entre pas vraiment en contradiction avec la philosophie catholique. Il est vrai que le bouddhisme peut être parfois très attrayant pour des Occidentaux, cet engouement est bien visible d’ici. Mais je me rends compte aussi que le bouddhisme est loin d’être l’idéal recherché. Les monastères bouddhistes ont été, dans l’histoire, aussi riches et corrompus que l'Église catholique. Les rituels sont nombreux, les bouddhistes les répètent machinalement. Plusieurs croient sans comprendre, de la même façon que plusieurs catholiques le font ou l’ont déjà fait. Beaucoup d’Occidentaux ne voient pas cette image du bouddhisme, ils n'en voient que les bons côtés. Si l’on est capable de s’écarter d’une certaine image négative que l’Église catholique a laissée dans l’histoire, la philosophie bouddhiste prône, à quelques idées près, des valeurs semblables à celles véhiculées par le catholicisme. Je crois qu’il y a beaucoup à apprendre du bouddhisme, de cette culture, de cette philosophie et de cette religion, si nous nous laissons interroger par les valeurs qui nous rejoignent. Mais il ne faut surtout pas se lancer à fond dans une croyance aveugle.

Ce que j’apprécie particulièrement dans le bouddhisme, c’est le fait qu’il rejette tout prosélytisme. Lorsque nous étions au monastère bön, personne n’a essayé de nous convaincre du bien-fondé de la religion bön, personne n’a cherché à nous convertir. Au contraire, tous attendaient que nous allions vers eux avant de répondre avec plaisir à nos demandes. Plutôt que d’essayer de changer le monde et d’essayer de changer les autres, les bouddhistes essaient de se changer eux-mêmes et d’avoir une influence sur les autres par leur seule façon d’être. C’est une façon de voir la vie que j’aime beaucoup.

J’ai reçu cette semaine le courriel d’une amie qui me racontait la course au magasinage des fêtes qui se déroulait présentement au Québec. Étrange course à l’argent et au matérialisme que celle-ci. Elle m’a écrit qu’elle lisait mes courriels, qu’elle regardait le monde autour d’elle et qu’elle réalisait à quel point notre société était parfois absurde. À moi aussi, vue d’ici, cette course m’apparaît futile et démesurée. Je suis heureuse de voir que je transmets un peu de tout ce que je vois ici à mes amis, à ma société, au Québec. C’est une façon, pour moi, de faire fructifier ce que m’apportent les gens d’ici.

Cette semaine, dans le petit village de Bagsu, qui jouxte Dharamsala, nous avons rencontré une femme qui m’a beaucoup impressionnée. Cette femme est Isabelle, une Française. Elle a mis sur pied la Gaddi Women's Self Help Society. Il faut d’abord dire qu’à leur arrivée à Dharamsala, les exilés tibétains étaient très pauvres. Ce n’est qu’au fil des années qu’ils ont reçu le soutien de la communauté internationale. Alors qu’ils se sont enrichis, les Indiens qui vivaient ici ont été de plus en plus exploités dans l'industrie grandissante du tourisme. C’est auprès des Indiens qu’Isabelle a décidé de travailler.

Elle a fondé une petite société pour les femmes qui ont quitté l'école. Elle a d'abord fait un petit commerce de tofu, de beurre d'arachide et de confiture, puis elle a créé des écoles de couture pour les femmes dans le besoin. Pour toutes les activités de la société, Isabelle s’est efforcée d’engager des femmes illettrées et pauvres afin de leur donner une chance, un travail qu’elles n’auraient jamais pu avoir autrement. De plus, dernièrement, elle a réalisé l’ouverture d’une prématernelle afin que les enfants apprennent l'hindi avant d’arriver à l’école. En effet, dans ce village, les gens parlent un dialecte, le gaddi, alors que l’école se fait en hindi.

C'est un travail énorme, souvent plus décourageant qu'encourageant. Il est difficile d’inculquer à ces femmes un sens des responsabilités. Certaines ne voient que l’argent. Aucune ne réalise la nécessité du travail bien fait. Alors qu’Isabelle voulait créer une société égalitaire où chacune aurait eu sa part dans la décision, elle se rend compte que les femmes, malgré les années, ne partagent pas cette vision. Éclatent souvent entre elles, des conflits opposant la conception occidentale et la vision indienne de la société. Avec les années, elles arrivent mieux à se comprendre et à accepter mutuellement leurs cultures.

Je crois personnellement qu’Isabelle est une femme exceptionnelle qui, par cette petite société, a posé un geste concret pour un monde meilleur. Elle est pour moi la preuve vivante que la volonté d’aller au bout de ce en quoi on croit peut mener à la transformation véritable de la société qui est en place. Nous nous sommes proposés pour l'aider. En fait, elle aurait eu besoin de connaissances sur la fabrication de tofu et de confitures, ce que nous ne pouvions lui donner. Elle avait aussi besoin de quelqu’un qui aurait pu travailler à long terme avec elle, puisqu’elle vient d’accoucher d’un petit garçon et qu’elle avait besoin de prendre un peu de repos. Ça nous était aussi impossible. Tout ce que nous avons pu faire, ce fut de l'aider dans sa comptabilité. Elle a semblé l'apprécier énormément, alors j’en suis bien heureuse.

Cette rencontre m’a marquée. Je crois que je la garderai en souvenir longtemps. C’est un petit geste, mais tellement profond et significatif. S’il y avait plus de gens de cette trempe sur terre, le monde irait mieux.

À Dharamsala, nous avons rencontré deux Américains, Terry et Less, qui vivent en Asie depuis plus d’une vingtaine d’années. Ils sont en Inde depuis déjà dix ans je crois. Installés dans leur petite maison aux abords du village, ils vivent paisiblement, au rythme des jours. Chacun de leur retour aux États-Unis leur confirme leur choix de vie, ils tolèrent de moins en moins la vie stressée et organisée nord-américaine. Nous avons marché et discuté beaucoup avec eux. J’ai bien aimé leur vision de la vie, leur rythme tranquille, leur regard sur la société indienne et tibétaine.

Hier et aujourd’hui se déroulait le Festival pour le prix Nobel de la paix du Dalaï Lama à Dharamsala. C’était un festival indo-tibétain en son honneur, avec toutes sortes de danses traditionnelles et folkloriques. J’ai regardé avec plaisir les danses tibétaines, alors que les danses indiennes étaient plutôt hilarantes. Un pseudo-fakir indien fut le clou du spectacle. Sans le moindre sens du spectacle ou sens artistique, il prenait des néons et se les cassait sur la tête! C’était probablement typiquement indien, mais, pour mes yeux occidentaux, c’était plutôt drôle et étrange!

Dans ce milieu à la fois indien et tibétain, j’ai appris à me méfier du thé qu’on m’offre. En effet, le chai et le thé tibétain ont la même apparence et le même aspect. Jusqu’à ce qu’on se trempe les lèvres dans le verre. Le thé tibétain est un thé au beurre salé, dont le goût de gras et de sel est très marqué. Pour ne pas être impoli, il faut finir son verre, ce qui, en soi, constitue un exploit!

J’ai aussi appris dernièrement quelques anecdotes sur la vie de tous les jours en Inde. Il m’avait suffit, en effet, de quelques jours pour me rendre compte que l’Inde est très polluée par le plastique. Le plastique est apparu en Asie il y a une dizaine d’années. Auparavant, tous les contenants étaient en carton, en papier et en feuilles d’arbres. Mais les Indiens n’ont pas modifié leur ancienne habitude de tout jeter par terre. Ce qui, autrefois avait peu de conséquences, devient maintenant désastreux : on y trouve du plastique partout. C’est à croire que les Indiens sèment le plastique pour le faire pousser dans les champs! L’une des conséquences de cette pollution, c’est qu’on découvre un nombre de plus en plus important de vaches et d’animaux qui meurent en s’étouffant parce qu’ils ont avalé des sacs en plastique! J’ai aussi appris avec étonnement que des éléphants libres dans la nature, se saoulent en buvant de l’alcool clandestin caché dans les champs. Ces éléphants ivres détruisent des villages et ils deviennent impossible à maîtriser!

Pour clore notre séjour à Dharamsala, nous avons été invités à un mariage hindou dans un village voisin, Dharamkot. C’était l’ami de notre guide Sansar qui se mariait. Sentiment étrange que d’être invités au mariage de personnes que nous ne connaissons même pas. Chez nous, je ne suis pas certaine que cela serait trop bien accueilli. Mais, à force de nous répéter que ce serait pour eux un honneur d’accueillir des Blancs à leur mariage, même si nous ne voyions pas en quoi ce serait honorifique, nous avons accepté, par curiosité, d’y participer.

Il faut savoir qu’un mariage hindou dure deux jours. C’est dans la famille de l’homme, où nous avions été invités, que j’ai pu observer les cérémonies et y prendre part. Il paraît qu’au même moment, sensiblement les mêmes cérémonies se déroulent chez la femme. Ces cérémonies sont longues et complexes.

Le matin de la première journée, l’homme s’installe devant le feu de la maison, en caleçon, avec un châle sur les épaules. Ce feu pour cuisiner se retrouve dans toutes les maisons indiennes. L’homme reste immobile jusqu’au début de l’après-midi. Autour de lui, une quarantaine de femmes chantent et psalmodient des hymnes religieux. L’homme est enduit tour à tour de pommades, de crèmes et d’herbes afin qu'il soit béni et purifié. Ensuite, il sort à l’extérieur, se fait raser, se fait couper les cheveux et les femmes lui donnent un bain. Puis, il retourne à l'intérieur où les femmes le placent sur un piédestal. Elles l'habillent alors avec un habit traditionnel, habit qui comporte de multiples épaisseurs. Le dernier vêtement qu’on lui met est un voile qu'il gardera jusqu'au lendemain midi. Les hommes le soulèvent alors et l'amènent à l'extérieur où ils le mettent sur un autre piédestal. Il ne touchera plus au sol jusqu'au lendemain matin. À cette étape de la cérémonie, la famille lui offre des cadeaux. Puis, le futur marié est installé sur une sorte de baldaquin et les hommes le transportent jusqu'à la famille de sa femme. Sa femme l’y attend, elle porte aussi l’habit traditionnel, avec un voile qu'elle gardera pendant trois jours. Pendant la soirée et la nuit suivante se déroulent des cérémonies religieuses, puis la famille donne des cadeaux aux invités. Le lendemain, tous retournent chez l'homme et célèbrent la fin du mariage.

Assister à ce mariage fut pour moi toute une expérience unique. À la fois fascinée et curieuse, j’avais souvent l’impression de ne pas être à ma place car je ne comprenais pas, et je ne comprends d’ailleurs toujours pas, le sens profond de ces cérémonies. Je me sentais un peu voyeuse et intruse. D’autant plus que pendant toute la cérémonie, les hommes et les femmes étaient toujours séparés. Les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Ianis et moi, en tant que Blancs, étions invités partout, parfois chez les femmes, parfois chez les hommes. Je n’aimais pas avoir ainsi des privilèges. Ce pays vit toujours avec deux règles différentes, une pour les Blancs, une pour les Indiens. Je n’aime pas. Mais les Indiens semblaient si fiers de leur mariage qu’ils voulaient nous en faire voir tous les aspects.

Nous y sommes restés tout l’après-midi, c’était suffisamment de temps consacré au voyeurisme. Nous avons donc laissé à l’intimité de la famille le reste du mariage. Ce mariage avec toutes ses coutumes et ses traditions m’a fortement impressionné. C’était superbe de voir ces personnes poser des gestes qui leur semblaient tellement significatifs.

C’est sur cette note que se termine notre semaine à Dharamsala. Il est maintenant temps de repartir, cette fois, vers le Rajasthan.

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15 décembre 2002, Jaipur, Inde

Nous sommes partis tôt de Dharamsala, par le premier autobus du matin. Il nous a menés sans encombre, mais toujours aussi entassés, à Pathankot. Arrivée à Pathankot, j’ai alors réalisé que nous allions vivre notre premier long déplacement. Et j’ai surtout constaté que je l’avais très mal planifié. Nous savions que nous voulions prendre le train pour le Rajasthan, nous voulions aller soit vers Jaipur, soit vers Jodhpur. Et c’était là la seule information que nous possédions!

À la station d’autobus de Pathankot, nous avons demandé à un rickshaw de nous amener à la gare. Malédiction, il nous dit qu’il y avait deux gares à Pathankot! À laquelle allons-nous? N’ayant aucune idée, nous avons pris la plus proche. Évidemment, c’était la mauvaise, aucun train n’en partait pour le Rajasthan. Nous avons donc repris un rickshaw, à pédales cette fois, et ce fut long, très long, avant d’arriver à l’autre gare.

La gare était vide et sale. La dame au guichet réussissant enfin à me comprendre, me dit qu’il y avait un train pour Jaipur dans six heures. Mais, semble-t-il, il nous aurait fallu avoir déjà une réservation. Impossible d’en faire une maintenant. Les heures ont passé, les gens au guichet ont changé maintes fois, et il nous était toujours impossible d’acheter un billet, de réserver et de savoir exactement quel train prendre et à quelle heure. J’allais au guichet à toutes les demi-heures, et à chaque fois, la même incertitude! Je commençais à penser que nous resterions dans cette gare pour la semaine à venir. Évidemment, dans la gare, nous étions le centre d’attraction. Nous étions les seuls Blancs de la gare et tout un chacun venait nous observer.

Finalement, une heure avant que le train n’arrive, je réussis à acheter deux billets pour Jaipur et deux réservations pour Delhi. D’entendre le nom de Delhi, d’imaginer que notre train allait s’y arrêter et que nous pourrions, par je ne sais quelle circonstance imprévue, être obligés de nous y arrêter, me donne des frissons. Non! Je ne veux pas! Après plusieurs questions, très peu d’anglais et beaucoup de gestes, je compris que nous avions une couchette réservée dans le train jusqu’à Delhi, qu’il fallait ensuite changer de wagon et continuer dans le même train jusqu’à Jaipur. En tout, une bonne quinzaine d’heures de trajet.

Ce fut finalement réussi. Sans jamais savoir si nous étions au bon endroit, nous avons pris les bons trains et effectué les bons changements. Nous avons même passé deux heures en première classe, sans le savoir! C’est vrai que les couchettes y étaient beaucoup moins surpeuplées. Mais un contrôleur est passé et il nous a demandé nos billets. Nous avons dû expliquer en long et en large notre ignorance du système ferroviaire indien. Nous sommes Blancs, ce qui nous a permis de nous en sortir sans amende, même si nous avons dû quitter notre couchette de première classe!

Dharamsala à Jaipur, un bon vingt-six heures de transport, un gros 700 km. Les transports indiens sont d'une efficacité incroyable! Dans les montagnes, il nous fallait en moyenne dix heures pour faire 200 km. Et pendant toutes ces heures de transport, persistait toujours l’incertitude de ne jamais savoir si nous étions au bon endroit et si nous pourrions prendre le bon train! Je crois qu’à l’avenir, nous réserverons à l’avance nos billets.

Jaipur. La cité rose du Rajasthan, aux bordures du désert du Thar. C’est évident, nous avons tout à fait quitté le monde tibétain, nous sommes replongés dans l’Inde. Décidément, je n’aime pas les grandes villes. Les vaches, les rickshaws, les bicyclettes, les chiens, les chameaux, les éléphants, les chèvres, les Indiens partout. Tout est dense, tout est surpeuplé. C’est sale, ça pue, et il bourdonne sans cesse un bruit de circulation assourdissant. Des couleurs de toutes sortes, les saris et les turbans, la ville rose qui n’est au fond rose que sur les grandes artères à l’intérieur des anciennes enceintes. Je trouve que les Indiens possèdent une conception bizarre des trottoirs. Plutôt que de construire un endroit surélevé sur les côtés de la rue, ils font des trous emplis de déchets. Alors, il ne faut jamais oublier de regarder où l’on pose les pieds! Une grande ville indienne, c’est agressant. Moins que Delhi, mais tout de même trop pour moi. En fait, je ne sais plus si ça l’est moins que Delhi ou si c’est moi qui me suis tout simplement habituée à l’Inde.

En sortant de la gare, nous avions marché vers un hôtel qui s’était avéré finalement fermé. Un chauffeur de rickshaw bien sympathique avait accepté de nous amener à un autre hôtel, comme nous lui avions demandé. Mais après quelques minutes, nous avons réalisé qu’il n’avait en fait pas du tout l’intention de nous amener à cet hôtel. Il cherchait plutôt à nous convaincre d’aller vers un autre hôtel de son choix. La conversation fut longue et difficile. Et il nous a malgré tout amené à son hôtel, mais devant notre refus obstiné d’y débarquer, il a finalement décidé de nous conduire à l’hôtel que nous demandions. Après une nuit de sommeil écourtée dans le train, cette discussion avec le conducteur du rikshaw pour enfin se rendre où nous voulions aller et cette ville aux airs agressants me sont soudainement devenus pénibles à supporter.

Première journée à Jaipur, nous décidons de faire une petite promenade à pied jusqu’au palais central. Nous voilà donc, encore endormis de notre nuit de voyage, partis à la conquête de Jaipur. J’aime bien me promener dans les rues d’un nouvel endroit, j’aime sentir l’ambiance, être en contact avec la ville et les gens. Je préfère, de loin, marcher plutôt que prendre un rickshaw. Toutes les trois minutes, quelqu’un nous aborde. Dans tout ce conglomérat indien qui déambule, nous sommes les Blancs. Impossible de passer inaperçus, et les Indiens étant tout sauf discrets, alors en moins de cinq minutes on m’avait encore une fois touchée de partout, regardée et examinée sous tous les angles.

Deux jeunes garçons, d’une quinzaine d’années, nous abordent. Ils semblent bien sympathiques. Nous bavardons avec eux, tout en marchant vers le centre de la ville. Ils nous offrent d’aller prendre un chai. Pourquoi pas? Ils nous emmènent chez le frère de l’un où, chai en main, nous jouons à un jeu traditionnel indien, une table de pichenettes. Peu à peu, toute la famille vient jaser avec nous. L’ambiance est cordiale. C’est seulement après avoir passé l’après-midi en leur compagnie, que nous réalisons être tombés dans un guet-apens. Ces gens désirent que nous rapportions des bijoux au Canada, une somme énorme, peut-être 10 000 $ US. Ils nous offrent gratuitement, en plus, le billet d’avion! Ils deviennent de plus en plus insistants et plutôt intimidants, comme tous bons vendeurs indiens. Tout est légal, paraît-il, mais nous en doutons fort! Pendant quelques secondes, j’ai pensé comme il serait bon de retourner à Montréal pour le temps des Fêtes pour ensuite revenir en Inde! Mais ces histoires illégales, ce n’est pas pour moi. C’est loin cependant d’être l’opinion de notre supposé ami indien. Il n’accepte pas notre refus. Il nous faut véritablement insister pour pouvoir sortir de la boutique les mains vides et sans engagement de notre part. Non, non et non! Ils veulent à tout prix nous revoir, nous nous sentons pris au piège. Finalement, sur une vague promesse, nous réussissons à prendre le chemin de retour vers notre hôtel.

Le lendemain, nous repartons pour visiter la ville, que nous n’avions finalement pas pu voir la veille. Nous étions à peine parti qu’un garçon nous aborde. Il dit nous connaître, il sait nos noms, il se dit un ami de nos Indiens de la veille. Là, c’est trop pour moi et ma coupe déborde, pourtant la ville est grande! On dirait que tout le monde nous connaît, que tout le monde sait où nous sommes! Nous nous esquivons et prenons refuge dans le palais central pour quelques heures. Mais voilà qu’à la sortie, notre ami de la veille nous attendait encore, il crie nos noms, nous court après pendant que nous nous engouffrons dans le premier rickshaw rencontré. Je commence à devenir paranoïaque! Pourtant, il y a des gens partout! Mais nous sommes les Blancs, faciles à suivre entre les turbans et les saris.

Décidément, je déteste les grandes villes en Inde. Impossible de vivre dans l’anonymat, c’est la course après les Blancs. Impossible aussi de chercher à s’esquiver, de passer inaperçus. Je n’aime pas, mais pas du tout. Demain nous partons. Nous fuyons la ville. J’espère que ce sera mieux ailleurs. Ici, c’est un Delhi deuxième version. Une ville pour apprendre à détester l’Inde, pour redevenir insécure, pour ne plus faire confiance à personne.

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1 Maîtres.


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