19 novembre 2002, Dolanji, Inde

Quitter Rishikesh fut une aventure en soi. Notre destination : un monastère bönpo près de Dolanji, un petit village dans les montagnes. À partir de notre ashram, ce fut une marche interminable avant d’atteindre la station d’autobus. Il n’y avait évidemment pas de trajet direct jusqu’au monastère! Nous devions d’abord nous rendre à une autre ville sur la route. Mais une fois rendus à la station, personne ne nous comprenait et ne pouvait nous dire quel autobus prendre. Ce fut finalement une petite mendiante qui, en nous faisant d’énormes signes, nous indiqua le bon autobus! Nous lui avions donné à manger avant et elle revenait sans cesse nous quêter. Il nous a donc fallu du temps pour comprendre qu’à ce moment-là, elle ne quêtait pas mais voulait plutôt nous indiquer l’autobus!

Cet autobus, je l’ai surnommé « celui qui ne s’arrête jamais ». En effet, il faut y monter en courant alors qu’il est encore en marche et faire de même pour en descendre. Il n’arrête jamais! Et, une fois dans cet autobus, nous ne savions toujours pas si c’était véritablement le bon autobus et, une fois descendus, si nous étions au bon endroit. Après trois autobus différents, tous plus remplis de gens entassés les uns sur les autres, nous sommes enfin arrivés à Solan. Il était trop tard pour aller à Dolanji, ce que nous avons fait le lendemain. Une journée et demie de transport, pour quelques centaines de kilomètres, ça donne un avant-goût de ce que sera notre année! Les autobus sont bien sûr incroyablement bondés. Nous avons les genoux dans le front, le sac à dos sur les jambes et parfois même un Indien en bonus, assis sur notre sac. Sans compter tout ceux qui nous entourent, je devrais dire, qui nous enserrent. Curieux de voir deux Blancs parmi eux, les Indiens se tiennent très proches de nous et nous fixent sans cesse. Ils peuvent nous regarder pendant des heures et des heures, pendant tout le temps que dure le trajet. Je suis réconfortée d’avoir Ianis à côté de moi. Ce n’est pas que j’ai peur, mais ça me donne tout de même une sécurité d’être auprès de quelqu’un que je connais dans ce monde étranger.

Nous sommes finalement arrivés au monastère bönpo. Cette religion, d’après ses traditions, existe depuis plus de 18 000 ans. C’est de cette religion tibétaine que naîtra plus tard le bouddhisme. Quand la Chine envahit le Tibet, ce fut l’exil pour beaucoup de Tibétains. Depuis 1959, les Tibétains exilés se sont réfugiés au Népal, en Inde (surtout en Himachal Pradesh, Punjab et Sikkim) et au Bhoutan. C’est le gouvernement tibétain en exil, dont le siège est à McLeodGanj (Dharamsala), qui, en collaboration avec le gouvernement indien, a accordé des terres en Inde aux Tibétains.

Nous sommes donc présentement dans une communauté tibétaine en exil près de Dolanji. Cette communauté a fondé, en 1969, le monastère bönpo où vit le grand Rimpoche1 de cette religion. Près du monastère se trouvent une école, un orphelinat et le village tibétain. Un monastère pour les nonnes est aussi en construction. Ces temps-ci, beaucoup de réfugiés tibétains arrivent en provenance du Tibet chinois et du Népal. La Chine et les rebelles maoïstes2 les persécutent.

Lors de notre arrivée au monastère, un groupe de Québécois y était déjà. Ils faisaient un voyage organisé dans l’Inde spirituelle et leur chemin les avait menés à ce monastère. Nous nous sommes mêlés au groupe afin d’avoir la chance de rencontrer à maintes reprises le grand Rimpoche.

C’est tout de même insolite de me retrouver ici, dans un monastère, en Inde, avec tous ces Québécois! J’ai devant moi des gens de mon pays, une image de chez moi en plein milieu de l’Asie. Côtoyer ces autres Québécois me rappelle constamment comment sont les gens chez nous. Et au fond, comment moi, je suis. Des fois j’en suis gênée, je nous trouve tellement simplistes, tellement accrochés à notre petite vie et à nos petites affaires, tellement près de la vie matérielle. Au début, ce matérialisme me fâchait et je n’aimais pas être mêlée à ce groupe. Mais finalement, je crois que ça m’a permis de percevoir une image plus juste du Québec et de la confronter à la réalité d’ici. Souvent, je me sens différente des Québécois. Je me refuse d’être accrochée à ces bagatelles, d’être aussi ancrée dans le matérialisme et l’égoïsme. En fait, je me demande si je suis vraiment si différente. Ne serait-ce pas plutôt que je refuse d’accepter que ma société est ainsi et que je le suis, moi aussi?

Nous discutons fréquemment et longuement avec Dominic, un moine bön français. La communication est facile, nous parlons français. Nous étions curieux, nous sommes allés le voir, et il nous a gentiment consacré beaucoup de temps afin de répondre à nos questions. Il nous parle de la religion bön. L’existence y est définie en six mondes dans lesquels les êtres se réincarnent avant d’atteindre l’illumination. Chaque être cherche à vivre la compassion afin de devenir un être bon et de pouvoir se réincarner dans un monde supérieur. Ainsi, les êtres contribuent à la compassion universelle, au bonheur de tous les êtres vivants. Je suis très intéressée par ces discussions. Au fond de moi, je suis heureuse de constater qu’ailleurs dans le monde il y a des gens qui croient en la force de l’humain. Des gens qui pensent qu’il faut d’abord se changer soi-même afin de changer le monde, qui ont espoir en un monde meilleur. J’aime beaucoup le respect et la sagesse qui émanent de la religion bön. Mais toutes ces histoires de réincarnation, de mondes différents et de dieux ne me rejoignent pas. Personnellement, je préfère croire que, peu importe la religion, quand chacun y met du sien pour un monde meilleur, il y a toujours de l’espoir. L’important, c’est de respecter les croyances de chacun, ce que fait la religion bön.

Avais-je vraiment besoin de venir à l’autre bout du monde pour me faire redire ce que je pensais déjà? Au fond, je crois que ces échanges ont raffermi mes convictions et ont revivifié mon espoir.

Ignorance. Haine. Attachement. Ce sont les trois poisons du bouddhisme. La religion bön y ajoute la jalousie et le mensonge. Ces trois ou cinq sentiments empoisonnent l’être et l’empêchent d’atteindre un état de compassion. Il faudra que je m’en souvienne de retour au Québec. Surtout de l’attachement et de la haine.

Je suis fascinée par tous ces moines qui passent leur vie à méditer et à réfléchir. Ils sont böns, mais ce serait semblable s’ils appartenaient à une autre religion. Je sais pertinemment que je n’en ferais jamais autant, mais j’aime bien ce contact avec la sérénité et la piété. Je suis touchée par la sagesse de ces moines et j’en suis impressionnée. Surtout quand je la compare à notre vie occidentale où tout tourne tellement vite, où tout se bouscule, où personne ne prend le temps de réfléchir au sens à donner à la vie.

L’ambiance ici au monastère est superbe. Les montagnes, les levers et les couchers de soleil avec comme musique de fond les enfants et les moines qui psalmodient, les couleurs, le calme paisible de la vie méditative, la brume le matin. Je me sens tellement loin de chez moi dans ce décor qui semble directement sorti d’un film sur les Himalayas! Vraiment, je suis à l’autre bout du monde.

Je suis assise, devant les montagnes, au soleil. Je suis toute seule avec moi-même, loin des tourbillons de la vie occidentale. Il a neigé au Québec paraît-il. La neige me manque. Je me demande pourquoi je voyage. Je sais que je veux apprendre, connaître la façon dont vivent les gens partout dans le monde, leurs croyances, leurs conceptions de la vie. Le voyage est aussi pour moi une façon de me découvrir et de m’enrichir en me confrontant à l’étranger. Je suis triste de découvrir que mes motivations sont purement égoïstes. Je me promets d’y repenser dans quelques mois. Je me dis aussi que j’écrirai ce que j’ai vécu. Ce sera ma façon de partager mes découvertes, de partager ce que j’ai appris. De cette façon, je me sentirai peut-être moins égoïste.

Nous voulions aider les enfants de l’orphelinat près du monastère. Nous avons donc demandé au moine responsable ce que nous pourrions faire. Dans ses quelques mots d’anglais, il nous a dit de venir à 17h30 pour jouer avec les enfants. C’est du moins ce que nous avions compris. Nous sommes donc allés, après le souper, à l’orphelinat, et le moine nous a confirmé que les enfants allaient venir. Nous attendions, il n'y avait pas d'enfants, ils étaient à l’extérieur. Puis, un peu plus tard, un enfant est venu nous voir et nous a dit « it's English class ». Dommage pour notre heure de jeu prévue, nous nous sommes dit que nous écouterions le cours d’anglais! Nous attendions encore et il ne se passait toujours rien. L'enfant est revenu nous voir: « you are the teacher »! C’est ainsi qu’à deux minutes de préavis nous avons donné un cours d’anglais à des enfants tibétains! Nous y sommes retournés dans les jours suivants, mieux préparés, afin d’aider les enfants à comprendre leurs manuels scolaires qui sont en anglais.

J’ai aussi assisté à plusieurs cérémonies böns. Une fois passée l’excitation première d’être invitée à assister à quelque chose de ce genre, j’ai vite désenchanté! Les cérémonies peuvent durer des heures et des heures, durant lesquelles nous sommes assis sur le sol froid en tailleur, alors que les moines récitent d’un ton monotone des mantras. Il fallait vraiment que je me pince pour rester éveillée! Et j’avais des fourmis plein les jambes. Assez vite, j’ai compris que les cérémonies n’étaient pas pour moi. Je préfère flâner dans le monastère, les yeux ouverts sur l’inconnu.

Je commence à comprendre que l’Inde est inséparable de la spiritualité, qu’elle soit hindouiste, bouddhiste, bön ou autre. La spiritualité est partout, elle forme, encadre et explique la vie. J’apprends à intérioriser l’Inde. Ce pays est aux antipodes de notre société capitaliste où tout est fondé sur l’argent. Ici, les gens vivent au présent, ils apprécient ce qu'ils ont. Ils semblent plus heureux que les éternels insatisfaits de notre société. C’est une grande leçon de vie de voir tous les jours ces gens qui possèdent si peu de choses et qui, malgré tout, acceptent leur vie et en sont satisfaits. Ces gens qui prennent le temps de vivre et de profiter pleinement de chaque instant, même s’ils doivent travailler durement pour survivre. Ça me fait réfléchir. Ça me fait surtout questionner les valeurs et les mentalités sous-jacentes à notre société occidentale.

Avant de quitter le monastère, une délégation de Tibétains est arrivée du Laddakh. Ils accompagnaient un oracle sacré qu’on devait, d’ici quelques jours, célébrer. Si j’ai bien compris, durant la cérémonie, l’oracle (une statuette) devrait répondre à des questions par un signe de tête. Tous les gens du monastère sont impatients et ont hâte à cette cérémonie. Cette cérémonie paraît étrange, même pour eux! Mais la cérémonie est sans cesse reportée, il y a chaque jour une nouvelle raison pour excuser le retard. Le temps passe, et je pense avoir appris suffisamment durant mon séjour au monastère. Je sens venir le besoin de repartir. Il faut dire que mon expérience antérieure des cérémonies böns me laisse présager que celle-ci sera longue et ennuyante. Nous avons donc pris la décision de rester une journée de plus et de partir le lendemain, peu importe que la cérémonie soit ou ne soit pas reportée.

Ce matin, on nous a affirmé que la cérémonie ne pourrait avoir lieu aujourd’hui. J’imagine que c’était mon karma de ne pas y assister! Il vient un moment où je sais que j’ai appris ce que je devais apprendre, il vient un moment où je dois repartir. Ce moment, c’est maintenant, je le sens, et Ianis aussi. Demain matin, nous repartons.

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22 novembre 2002, Dharamsala, Inde

Après une semaine passée au monastère, c’est le départ : direction Dharamsala. Quelques autobus sans encombre mais toujours aussi entassés les uns sur les autres. Nous avons décidé de passer la journée à Shimla avant de prendre l’autobus de nuit jusqu’à Dharamsala.

Pour ce faire, nous avons dû laisser nos sacs à dos en consigne pour la journée. Près de la station d’autobus, un local exigu, bourré de sacs disparates, un Indien saoul assis au centre. Je ne me sentais pas tout à fait rassurée, mais je ne m’imaginais pas non plus me balader toute la journée avec mon sac à dos. L’Indien m’assurait évidemment que tout était en sécurité. Mais devais-je lui faire confiance? Je me suis dis que oui, une fois de plus, j’ai décidé de faire confiance à la vie. En soirée, à mon retour, mon sac à dos était bel et bien là, enfoui sous quelques autres. L’Indien saoul n’était plus le même, mais tout était en ordre. Je commence à réaliser qu’en Inde je dois apprendre à faire confiance aux autres, même s’ils sont inconnus. Je dois me fier à mon instinct.

Shimla. Quel changement! C’est comme si j’étais à la fois en Angleterre et en Inde. On dirait le régime anglais qui s’est incrusté dans la vie indienne! À cause de sa haute position dans les montagnes, Shimla fut longtemps la capitale d’été du Raj3 anglais. Pendant cette saison, c’était une ville fraîche au climat rêvé pour les colonisateurs anglais qui supportaient mal la chaleur indienne.

D’ailleurs, depuis mon arrivée en Inde, je constate que l’empire britannique a laissé une marque profonde sur ce pays. Je crois même que l’héritage britannique est plus présent ici qu’au Québec. Les gens conduisent à gauche, ils boivent du chai (thé indien) et ils ont une passion incroyable pour le criquet. La langue anglaise est aussi très présente. Évidemment, plus les Indiens sont éduqués, mieux ils parlent anglais. Mais même dans l’hindi, on retrouve beaucoup de mots anglais.

En fait, si l'anglais est si présent, c'est parce que les Indiens en ont besoin. On dénombre en Inde plus de 30 langues et une dizaine d’alphabets différents, sans compter tous les dialectes. La langue commune de l'Inde du nord est un mélange d'anglais et d'hindi, tandis qu’au sud c’est un mélange d'anglais et d'urdu. Donc, l’anglais est en général la langue passe-partout. Souvent, les Indiens écrivent l’hindi avec notre alphabet et la prononciation anglaise. Le tiers de l’affichage se fait dans notre alphabet plutôt qu’en alphabet hindi. Écrire l’hindi avec notre alphabet pose problème, puisque l’hindi ne possède ni les mêmes lettres ni les mêmes sons que l’anglais. Il existe donc toujours plusieurs façons d’écrire le même mot. Par exemple, « patate », qui se prononce « alou », peut s’écrire « aloo », « alu », « alloo », « allo », et j’en passe! Ce qui ne m’aide pas du tout à apprendre l’hindi!

Shimla. Les Indiens sont très fiers de nous dire que « c’est la seule ville au monde où les gens marchent à gauche dans les rues ». En effet, les rues piétonnes sont nombreuses, les autos n’ayant pas accès aux trois quarts de la ville, située trop en montagne. Mais il faut bien être Indien pour être fier de ce détail! Shimla est une ville jolie, très riche et de style britannique. Je n’ai pas du tout l’impression d’être en Inde. Ici, les Indiens me parlent de leur fils au Canada ou de leur fille en Angleterre, et de la dernière fois où ils sont venus lui rendre visite. Après seulement quelques heures d’autobus, me voici dans une autre Inde!

En nous promenant dans les rues, un Indien nous a abordé et nous a offert le chai. Événement qui nous arrive souvent. Mais nous étions à peine assis que notre hôte a commencé à nous raconter nos vies. Il lisait dans mon esprit comme dans un livre ouvert. Je n’avais jamais vu ça auparavant. Il s’est mis à me raconter mon enfance, mon adolescence, ma vie actuelle, comment je me sentais, ce que je pensais, ma façon de percevoir la vie. Il en a fait de même pour Ianis. J’avais l’impression d’être transparente devant lui. Je n’aimais pas du tout cette sensation! Quand je pensais à des souvenirs, j’avais tout de suite la crainte qu’il ne les voit parce que j’y avais pensé. J’essayais de les dissimuler dans mon esprit en me disant que c’était stupide. Mais souvent, il commençait à me raconter ce à quoi je venais de penser! Sa force de l’esprit était pour moi à la fois impressionnante, inquiétante et apeurante.

Nous sommes restés près de trois heures avec cet Indien. Il nous a expliqué qu’en Inde, les gens sont beaucoup plus proches de leur subconscient qu’en Occident. Ici, les gens sont capables de sentir les émotions, de percevoir ce que les gens pensent, de lire dans les regards. En Inde, beaucoup de gens peuvent saisir cette autre dimension de notre existence. Alors qu’en Occident, nous sommes souvent, pour ne pas dire toujours, fermés sur cet aspect de notre être. Difficile de ne pas le croire après tout ce qu’il venait de lire dans nos pensées. Difficile de ne pas réfléchir à cette réalité, à ces différences culturelles. C’est vrai que nous sommes trop matérialistes, trop centrés sur l’intellectuel et que nous étouffons nos sentiments. Je réalise encore à quel point l’Inde est indissociable de sa dimension spirituelle. L’une ne peut exister sans l’autre.

Après la semaine passée au monastère bön, sans contact avec le monde extérieur, je me demandais ce qui se passait avec la possible guerre en Irak. J’étais curieuse de savoir si le monde allait encore aussi mal, si mes amis et ma famille se portaient bien. Nous avons trouvé un café internet. J’étais surprise et vraiment heureuse d’avoir autant de courriels dans ma boîte de réception. Assise devant mon ordinateur, quelque part en Inde, j’étais heureuse de savoir que mes amis et ma famille pensaient à moi, que j’étais encore présente dans leur vie, sans y être physiquement, bien sûr.

Et, pour la première fois, en lisant mes courriels, j’ai senti à quel point j’étais profondément loin du Québec et surtout, loin de tout ce que les gens me racontaient. Je me sentais ailleurs, dans un autre monde. J’ai lu dans ces lignes la course, le stress, l’argent, le matérialisme, la rage, la haine, la colère, l’agressivité, la peine, la lutte. J’ai lu le mal de vivre, j’ai lu l’Occident et j’en ai été heurtée comme jamais. J’étais incapable de répondre à mes courriels. Je me sentais trop loin, trop déconnectée de cette réalité. Je me sentais ailleurs, dans un autre monde. Toute cette rage et cette agressivité m’ont outrée. Je me suis aperçue que j’avais finalement beaucoup appris au monastère. J’avais maintenant une seule envie, dire à tout le monde d’enlever la haine de leur vie et d’arrêter de courir après des chimères. Je ne pouvais pas répondre immédiatement. Alors je suis sortie, à la fois heureuse et ébranlée, les émotions toutes à l’envers. Je me suis assise devant une bière, la deuxième depuis mon arrivée en Inde, et j’ai regardé l’Inde, le regard dans le vague, comme dans un rêve. J’étais calme, en paix, j’étais bien avec tous ces Indiens autour de moi. Je me suis alors rendue compte que c’était fait, que j’avais apprivoisé l’Inde et que maintenant je l’aimais. Soudain, sans aucun avertissement, des singes nous attaquèrent, des Indiens se sont mis à crier, les singes sont repartis avec nos bouchons de bières. J’étais bien, un sourire au coin des lèvres.

Après cette journée riche en émotions, un autobus de nuit nous a menés à Dharamsala. C’est dans cette ville que siège le Dalaï Lama, chef du gouvernement tibétain en exil. Dharamsala surprend. C'est une ville à la fois occidentalisée et tibétaine, remplie de « Free Tibet » et de « Save Tibet ». J’ai l’impression de voir une « industrie de l'exil » tibétain et la « professionnalisation du métier de réfugié tibétain ». La société tibétaine est tellement supportée par la communauté internationale que les Tibétains sont plus riches que la plupart des Québécois, et j'exagère à peine. Et elle est côtoyée par une classe d’Indiens pauvres qui constitue la majorité de la population. Dharamsala est pour moi une ville divisée en deux mondes. Et je n'y comprends rien, car les Indiens n’apparaissent pas jaloux ou offusqués de cette situation. Tout ce côté tibétain me semble artificiel, surtout après mon séjour au monastère. Je n’aurais jamais cru que ce serait ainsi. Peut-être que l’Inde n’est au fond pas différente de chez-nous, que tout est une question d’argent, et que lorsque l’argent est présent, la société devient froide et capitaliste. C’est mon impression première, je suis déçue. J’attendrai d’être restée plus longtemps avant de juger.

Profitant de la proximité de cet endroit et des Himalayas, nous décidons de partir pour un trek de neuf jours. Ensuite nous reviendrons à Dharamsala, et je prendrai alors le temps de connaître l’endroit.

J’ai trouvé une photo du Dalaï Lama accompagnée d’un de ses écrits que, tout de suite, j’ai adoré. Je l’inscris ici, je dois m’en souvenir de retour au Québec.

« Never Give up

No matter what is going on

Never Give up

Develop the heart

Too much energy in your country

is spent developing the mind

instead of the heart

Be compassionate

Not just to your friends

but to everyone

Be compassionate

Work for peace

in your heart and in the world

Work for peace

and I say again

Never Give up

No matter what is happening

No matter what is going on around you

Never Give up. »4


J’ai acheté des cartes, je vais y écrire ce mot et les envoyer à mes amis et à ma famille pour Noël.

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1 Grand maître.

2 Grande rébellion qui a lieu au Népal. Les maoïstes s’opposent au gouvernement et font la guérilla dans les campagnes. Depuis plusieurs années, le nombre de morts et d’attaques violentes ne diminue pas.

3 Royaume

4 His Holiness the XIVth Dalaï Lama.


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