23 janvier 2003, Darjeeling, Inde

Les proverbes le disent, «petit train va loin; lentement mais sûrement ». Notre voyage de Varanasi à Darjeeling est une véritable aventure. Je crois qu’y être allé à cheval n’aurait pas été beaucoup plus long! Quatre jours de voyage. Quatre!

L’aspect intéressant d’un voyage au nord de l’Inde en hiver, c’est cette brume opaque qui recouvre continuellement le pays. Tout est très humide et très froid, il fait près de zéro degré. Des milliers d'Indiens meurent à cause de ce froid, ils vivent sans vêtement et sans habitation. Autre conséquence de cette brume intense : les lenteurs et les retards dans le système de transport. Il faut se compter chanceux si notre train n'a que quatre ou cinq heures de retard, car c'est souvent plutôt quinze ou vingt heures! Il y a longtemps que les Anglais ont quadrillé l'Inde d'un énorme réseau de chemin de fer, mais je crois que l’efficacité de ce réseau s’adapte mal aux mauvaises conditions climatiques!

Nous avons quitté notre hôtel de Varanasi vers 12h, le 19 janvier, puisque nous devions vider la chambre avant midi. Nous nous sommes alors rendus près de la gare afin de vérifier l'horaire de nos trains. Nous devions prendre le train 2402 à 2h du matin, qui devait arriver à Patna à 7h, pour ensuite prendre le train 4056 à 12h, qui lui, devait arriver à Siliguri vers 3h le lendemain matin. C’était notre plan de voyage. Nous avions réservé nos billets de Mont Abu. C’était alors les seuls trains, ainsi que le seul horaire possible et disponible.

À la gare de Varanasi, nous nous sommes promenés d'un guichet à l'autre sans pouvoir savoir si tout cela fonctionnait tel que prévu. Quelqu’un nous a finalement référé au bureau des touristes. Le monsieur du bureau des touristes nous explique alors que notre choix de train est mauvais. En effet, tous les trains étant maintenant en retard de quinze à vingt heures, nous allons manquer le deuxième train et être pris à Patna. Il faut dire que Patna est la capitale de l'état le plus pauvre de l'Inde, ce qui ne me rassure pas tout à fait face à une arrivée nocturne ou à un séjour dans cette ville! Le monsieur nous explique que nous devrions plutôt prendre un train direct vers Siliguri qui part de Mughal Sarai, une gare qui se situe à 19 km de Varanasi. Ce serait évidemment plus cher car, pour ce faire, nous devons annuler nos billets. Après réflexion, nous nous disons que ce serait pour le mieux.

Nous sommes prêts à annuler nos billets et à en acheter de nouveaux. Le monsieur vérifie sur l'ordinateur : le train de 18h est annulé, dans celui de 21h il ne reste que des places en première classe, donc trois fois plus cher. La situation se complique. Réfléchissant rapidement, nous arrivons à la conclusion que peu importe le coût, il vaut mieux y aller pour le plus simple, et nous décidons de prendre ce train. Mais voici que le monsieur consulte son ordinateur et nous dit qu’il est 14h01, qu’il fermait à 14h, et que par conséquent il ne peut plus faire de réservations de billets. Quoi? Les ordinateurs sont, paraît-il, fermés par Delhi, impossible même de donner ne serait-ce qu’un petit bakshish1. « Vous reviendrez demain » nous suggère-t-il. Incroyable, je suis sidérée. Depuis quand est-ce que les bureaux ferment à l’heure exacte en Inde, depuis quand les systèmes sont-ils aussi efficaces? Pendant quelques secondes, je me croyais en Occident. Efficace, il faut s’entendre, notre train a tout de même quinze heures de retard. Pourquoi alors nous empêcher d’acheter un billet une minute après la fermeture? Il n’y a rien à comprendre.

Je commence à réaliser que notre voyage ne s’annonce pas bien. Préparons-nous à attendre. Tant pis, nous allons prendre nos trains tel que prévus. Au moins, si nous sommes arrêtés à Patna, nous aurons fait un bout de chemin.

À 14h15, le 19 janvier, le comptoir des renseignements affiche officiellement que notre train est à l’heure. Les renseignements ne sont probablement pas encore arrivés au comptoir, ils doivent être en retard comme le train. Nous prenons une petite chambre miteuse près de la gare, et nous nous désennuyons en lisant le journal sur internet. Un bon souper, quelques bières toujours aussi mauvaises. Nous retournons en soirée nous informer à la gare, toujours pas de retard d’après le comptoir. Sur notre chemin, nous croisons des agences qui annoncent des autobus pour Katmandou, pas cher du tout. Et si nous laissions tomber le Sikkim et allions directement au Népal?

Nous nous levons à 1h du matin pour faire nos vérifications à la gare, ce qui était une bonne idée, car le comptoir nous dit que le train 2402 a maintenant neuf heures de retard. Il faut dire que nous nous en attendions. Nous retournons nous coucher pour terminer notre nuit. En pleine nuit, la gare devient un spectacle unique à voir. Tous les Indiens qui devaient prendre le train de nuit sont couchés partout par terre, enveloppés dans leur couverture. Le plancher de la gare est un vrai dortoir. On ne peut faire un pas sans enjamber quelqu’un. Je me redis à quel point les Indiens sont ingénieux, à quel point ils savent s’organiser avec un rien.

Nous retournons à la gare le lendemain matin vers 10h, notre train a maintenant quatorze heures de retard. Je suis découragée. Nous retournons voir le comptoir touristique, ce n’est pas le même monsieur qui y travaille. Il ne semble plus rien comprendre de ce que nous voulons. Il nous dit qu'il ne peut pas du tout acheter des billets pour la gare de Mughal Sarai, que nous devons aller sur place. Pourtant on nous a dit le contraire hier! Nous retournons voir à un autre comptoir où l’on nous dit que notre deuxième train, le 4056, n'est pas en retard lui, et que nous l’avons par conséquent manqué. Je suis vraiment découragée. Il me semble que la situation ne peut pas aller plus mal. J’ai l’impression de tourner en rond et d’être complètement impuissante. Je réalise que je ne peux rien faire d’autre que d’attendre.

Sous le coup du découragement, nous annulons tous nos billets. Le deuxième billet n'est remboursé qu'à moitié car il n'y a pas de retard, mais tant pis. Un autobus pour Katmandou? J’avoue que c’est plus que tentant. Mais nous décidons de prendre un rickshaw jusqu'à Mughal Sarai, où nous achetons un billet « général » jusqu'à Siliguri, sans place réservée. Dans les wagons « général », c’est vraiment la foule, entassée comme seuls les Indiens peuvent le faire, sans couchette ni rien. Mais au point où nous en sommes, peu nous importe. Nous décidons de nous asseoir sur le quai en nous disant qu’il y aura bien un jour un train qui va arriver, que nous nous embarquerons dedans, et qu’ensuite nous verrons pour le reste. Notre niveau de découragement est à son plus haut.

Mais ce n’est même pas si simple que ça. Nous apprenons soudainement qu’il y a deux trains qui partent vers Siliguri. Le premier, le train 4056, est déjà en retard de neuf heures et il arrivera vers 16h45, le deuxième, le train 5622, est prévu, lui, pour 18h15. Ces deux trains arrivent sur la plate-forme 2. Si le train 4056 est en retard de neuf heures, alors, je ne comprends pas du tout pourquoi nous n’avons pas été remboursés puisque c’est ce même train que nous prenions de Patna. Je ferai un grief contre le système ferroviaire indien si j’arrive à sortir d’ici!

Nous nous assoyons. Il y a sûrement un de ces trains qui va se présenter un jour. Mais, encore une fois, ce n'est pas aussi simple que ça. Les annonces se font en anglais au micro mais nous ne les entendons pas, le son étant très faible et mauvais. Les annonces en hindi par contre, nous les entendons très bien mais nous ne les comprenons pas. J’ai l’impression d’être tombée dans un état léthargique. Je ne suis même plus fâchée ou découragée lorsque nous réalisons que le train est encore retardé, il me semble que c’est tout à fait normal. J’accepte le destin qui vient et j’attends, complètement passive. C’est sûrement un mécanisme d’auto-défense qui me permet de survivre à l’attente insensée.

Sur les trains, les numéros ne sont pas inscrits, il n'y a que la ville du début et de la fin de la ligne qui y sont inscrites, en hindi. J’arrive à les lire. Mais personne n'arrive à nous dire quelle est la fin de la ligne pour le train 4056 ou 5622, et tous les trains partent de Delhi, donc ça ne nous aide absolument pas. Et il y a vraiment beaucoup de trains qui passent tout le temps, et nous ne savons jamais si c’est le bon train ou pas!

Tout ce que je veux, c’est monter dans un train pour aller à Siliguri. C’est mon désir le plus cher à cet instant précis. Il me semble que ce n’est pas demander la lune. Pourquoi ce n’est pas possible? Les retards changent tout le temps, le 4056 a maintenant dix heures de retard, puis onze, puis douze, le 5622 en a deux, puis trois, puis quatre.

Finalement, quelqu'un nous indique un train, à 20h15, sur la plate-forme 3. Et dire que pendant tout ce temps nous attendions sur la plate-forme 2! Cet homme nous l’indique avec plusieurs gestes, sans parler vraiment anglais. Nous en déduisons que ce doit être notre train, nous courrons jusque là-bas, nous demandons à plein de gens qui nous confirment l'information, et nous montons dans le train.

Réussite! Victoire! Nous sommes enfin dans le train, le bon train, quel miracle! Dix-huit heures plus tard, nous voici véritablement partis.

Reste à se trouver une place. Des Sikkimiens bien gentils nous hébergent sur leur couchette, en attendant que le contrôleur passe. Nous lui demandons d'acheter un billet avec couchette. C’est bien parce que nous sommes Blancs qu’il nous en trouve une. Mais j'avoue que pour cette fois, je prends la couchette et je me fiche bien d'avoir eu un privilège à cause de la couleur de ma peau.

Mais cette couchette, il faut pouvoir s’y rendre, car elle est dans un autre wagon. Il nous faut traverser par l’extérieur du train car il y a un wagon de marchandises entre les deux. Nous attendons donc le prochain arrêt où, en vitesse, nous sortons du train et marchons rapidement jusqu’à notre nouveau wagon. Mais voici que toutes les portes du wagon se ferment. Nous cognons de toutes nos forces sur les portes, nous crions aux Indiens de nous ouvrir mais personne ne le fait. Ce manège dure au moins cinq minutes et je commence sérieusement à paniquer. La situation est complètement ridicule. Ces gens ne veulent pas ouvrir car le wagon est déjà plein. J’imagine déjà le train repartir devant moi, et moi, rester plantée sur ce quai, et devoir attendre à nouveau le prochain train… Je veux entrer dans le train, ouvrez-moi! Nous ne sommes pas les seuls. D’autres Indiens cognent aussi avec nous et le niveau de panique s’élève peu à peu.

Finalement, une porte s’ouvre, à la course nous y pénétrons avant qu’elle ne se referme. Quel soulagement! Inexprimable. Je trouve ma couchette et m’y assoie, hébétée. Maintenant, je suis dans le train, sur une couchette. Je n’ai aucune idée pour combien de temps, mais je sais que je suis ici et que je vais arriver un jour, probablement demain. Et ça me suffit amplement. Ce n’est qu’une question de temps, il ne reste qu’à attendre. C’est étrange de réaliser les changements dans mon attitude. Maintenant, je ne ressens plus rien, ni incertitude, ni colère, ni impatience, ni même joie ou bonheur, juste un soulagement. Et dire qu’au fond je suis heureuse d’être assise dans un train pour la journée à venir!

Ici, l’expression « le temps c’est de l’argent » n’existe absolument pas. Je me demande comment se fera le retour dans notre société où tout est à l’heure et tout est efficace. Ça me donne le vertige, je pense que je ne m’y sentirai pas à ma place.

Aujourd’hui, c’est ma fête. J’ai 26 ans, assise dans ce train pour toute la journée. Je n’aurais pu imaginer une façon plus mémorable de célébrer mon anniversaire. Il faut dire qu’on avait planifié arriver aujourd’hui, mais avec tous ces retards, l’arrivée sera pour demain. Peu importe, ce n’est qu’une question de jours, une question de convention. À Darjeeling, un jour, quand nous y serons, nous fêterons ma fête. Pour l’instant, je regarde le temps passer de la fenêtre de mon train, j’observe les champs où les Indiens semblent semer du plastique. Les paysages se déroulent devant mes yeux comme ma vie défile dans le temps. J’ai 26 ans aujourd’hui. Assise dans ce train.

Après dix-huit heures d'attente, nous avons fait vingt-deux heures de train, pour finalement arriver à Siliguri le 21 janvier, à 18h du soir. Nous y avons dormi une nuit. En fait, je dis « dormi », mais comme cadeau de fête, j’ai plutôt hérité d’une diarrhée incroyable. Je n’ai pas vraiment fermé l’œil, j’ai passé ma nuit aux toilettes. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus reposant. Dès le lendemain, nous avons repris le « Toy Train », pour neuf autres heures, jusqu'à Darjeeling. Une montée laborieuse de 2000 mètres dans un petit train à vapeur du XIXe siècle, consacré patrimoine de l'humanité par l'Unesco. Il roule à une vitesse maximale de 10 km/heure. La montée est superbe. Mais je crois que nous aurions été plus vite à pied. À l’un des ponts, nous avons dû descendre, de peur que le pont ne s’effondre sous le poids combiné du train et des passagers. Le paysage devient de plus en plus beau, à mesure que nous grimpons dans la forêt et les montagnes. Je constate combien la forêt et la nature m’ont manqué ces dernières semaines. Les gens sont différents, les maisons toutes colorées.

Darjeeling, nous voici, après de très longues heures de transport. Darjeeling est une ville très anglaise et très jolie. Les gens sont sympathiques, calmes, souriants. Ils sont un mélange de Népalais, de Bouthanais, de Sikkimiens, ils sont tous très beaux. Absolument pas agressifs, ils me semblent tous doux, ils ne crient pas, ils sourient. Rien à voir avec les Indiens. Soulagement au début, je dois l’avouer. Mais j’ai aussi l’intuition qu’avant longtemps, les Indiens vont me manquer, j’aurai l’impression qu’il manque de vie par ici !

Je me rends compte que mon attitude a changé depuis que je suis en Inde. Maintenant, je suis aussi agressive que les Indiens, je parle fort, je ne me laisse plus déranger, je leur rends la pareille, en riant bien sûr. En fait, je réagis à peu près comme les Indiens. Encore une fois, ce doit être un mécanisme de défense et de survie.

À passer autant de temps dans la gare pendant ce voyage, nous y avons observé la vie. Les Indiens sont vraiment ingénieux. Ils dressent un nombre incroyable de petits kiosques démontables où ils font de tout, du chai, des chapatis, des dals, du riz, des omelettes, des arachides chaudes. En attendant à la gare, on ne meurt pas de faim, il y a toujours quelqu’un pour vendre des repas! Pas besoin non plus de comprendre les annonces pour savoir qu'un train arrive, il faut juste voir tous les kiosques se déplacer d'un quai à l'autre, regarder les Indiens envahir les trains et vendre par les fenêtres, et c'est sans compter les vendeurs de cigarettes, de jouets, de couvertures, de bas, de sous-vêtement (qui achète ça dans un train?), de sucreries et les cireurs de souliers, de tout quoi. Vraiment impressionnant. On se fait répéter tout le temps, en Inde, « everything is possible ». Je le crois. Il suffit de demander.

Ici, les enfants commencent à travailler jeune. Souvent, les familles ont trop d’enfants. Ne voulant pas qu’ils traînent dans la rue, les familles les confient à un Indien d’une autre ville, qui les fait travailler pour lui, en échange d’un toit et de nourriture, et d’un peu d’argent qu’il fera parvenir à sa famille. Partout, les enfants travaillent, alors que dans ma tête, ils seraient plutôt à l’âge de courir dans les champs et d’être assis sur un banc d’école.

L'être humain possède une faculté d'adaptation qui est en fait une partie de sa richesse et un moyen de défense et de protection. À côtoyer la misère, on s'y habitue. On s'habitue à voir les gens nu-pieds dans le froid, on s'habitue à voir des enfants quêter, on s'habitue à voir des enfants travailler, on s'habitue à voir les gens dormir dehors au froid. On s'habitue à voir les riches rudoyer les pauvres, on s'habitue à voir des lépreux dans la rue, on s'habitue à voir des gens difformes. On s'habitue à voir toute cette misère autour de nous, au point où, elle ne nous attriste plus d’abord, puis elle ne nous touche plus et enfin, pire que tout, elle nous laisse indifférent. Je crois que c'est comme ça que l'on devient insensible. Et puis on réalise que c'est horrible qu'on se soit habitués, et que NON, ce n'est pas normal que ce soit comme ça, que ce ne doit pas être comme ça, et que par-dessus tout, on ne doit JAMAIS s'habituer à la misère. Mais c'est un réflexe de défense et de protection jumelé à une grande capacité d’adaptation. Cette capacité de l'être humain est à la fois richesse et horreur, et si le monde va aussi mal, c'est justement parce que l'humain est capable de s'habituer à côtoyer et à IGNORER la misère autour de lui.

Et je me rends compte que je ne suis pas mieux que les autres, parce que je m’y suis, moi aussi, habituée. Et ça me fait mal au cœur de le réaliser.

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26 janvier 2003, Pelling, Sikkim, Inde

Après toutes ces heures de train, en arpentant Darjeeling, nous savions que nous méritions un bel hôtel. Une nuit au chaud dans un lit, dans une belle chambre. Ce fut un hôtel colonial anglais, avec un foyer dans la chambre. Le grand luxe! Une petite soirée spéciale pour souligner ma fête, près du feu de foyer. Il faisait très chaud et c’était tellement agréable! J’avais l’impression d’être chez nous. J’appréciais chaque rayon de chaleur qui me pénétrait. Ce fut une superbe soirée.

Déception le lendemain matin : le paysage est disparu dans la brume. Sur les photos, Darjeeling est une toute petite ville perchée au sommet d’une montagne pré-himalayenne. D’ici, en principe, nous devrions avoir une vue splendide sur la chaîne des Himalaya qui couvre l’horizon. Parmi les montagnes enneigées, il serait même possible de distinguer le Kanchenjunga, la troisième plus haute montagne au monde, et même parfois, à l’horizon, l’Everest. Mais pour l’instant, nous devons nous contenter de regarder les photos, car devant nous s’étale seulement un mur de brouillard.

Trois jours plus tard, la situation n’a guère changé. Quelle frustration! Trois jours de brume épaisse qui nous cache toutes ces merveilleuses montagnes derrière son écran. Que du blanc, à perte de vue, et les montagnes qui nous narguent sur les photos!

Nous voulions quitter la troisième journée, mais nous découvrons soudainement que le jeudi, tout est fermé à Darjeeling. Il semble que ce soit sans raison, tout est fermé tout simplement parce que c’est jeudi! Comme nous avons besoin d’un permis pour entrer au Sikkim, et que nous pensions le faire faire ce jeudi, cette journée fut donc pour nous plutôt morne. Nous nous sommes baladés dans une ville quasi morte ainsi que dans ses environs.

Dans ce coin de l’Inde, les gens sont gentils et, surtout, paisibles et calmes, ce qui contraste avec le nord de l’Inde. Le climat, en hiver, est froid. Les chambres d’hôtel sont glaciales. Prendre une douche est impensable! Le chauffage n’existe pas, et pourtant, le mercure doit certainement descendre sous le zéro la nuit!

D’énormes plantations de thé entourent Darjeeling. Ce sont les plus vieilles de l’Inde et le thé de Darjeeling jouit d’une réputation mondiale. Nous en avons visité une, ce fut très intéressant. Le zoo de la ville nous permet d’admirer des animaux gigantesques : un imposant tigre de Sibérie, des léopards des neiges, des ours noirs, des pandas rouges. Un peu partout, des visiteurs indiens s’adressent aux animaux en criant : « Hey you! come here! come here! ». Je viens de comprendre pourquoi les clôture sont placardées de pancartes qui demandent de ne pas déranger les animaux. Jamais l’idée ne me serait passée par la tête de déranger un tigre de Sibérie aussi énorme! Mais j’avais oublié que ce zoo était destiné aux Indiens. Sacrés Indiens, j’ai bien ri de les voir ainsi crier!

Finalement, nous avons réussi à obtenir notre permis pour le Sikkim et nous avons quitté Darjeeling en jeep. C’est ici le moyen de transport par excellence. Trois jeeps différentes pour nous rendre à Pelling, au Sikkim. Une journée de transport sans encombre. Si on oublie le degré d’entassement. Qui croirait qu’on peut entasser jusqu’à douze adultes et cinq ou six enfants dans un jeep? Ianis est grand et a de grandes jambes. En Asie, tout est toujours trop petit pour y loger ses jambes, que ce soit les lits, les autobus, les tentes, les trains, les jeeps. C’est tout un défi pour lui de se comprimer dans un espace si minuscule, le menton appuyé sur les genoux!

Mais nous voici finalement rendus au Sikkim, petit pays montagneux de religion bouddhiste, annexé à l’Inde en 1976. Le Sikkim diffère de l’Inde sous plusieurs aspects. Un permis est exigé pour aller dans chaque ville, ou presque. Partout, il y a des postes pour vérifier et estamper nos passeports. C’est sans doute à cause de la proximité de la frontière du Tibet, occupé par la Chine. Je ne vois pas trop en quoi je suis une menace pour la Chine, le Tibet ou l’Inde, mais il semble évident que tous ces pays sentent le besoin de contrôler étroitement leurs frontières.

Si loin dans les montagnes, il n’y a plus ni train, ni autobus. On ne retrouve que ces jeeps toujours remplis à pleine capacité. Impossible de planifier un déplacement puisqu’aucun horaire n’existe. La seule constante est la vitesse : il faut en moyenne cinq heures pour faire 100 km. Étant donné qu’il existe peu de routes et qu’elles sont montagneuses, il est souvent plus rapide de se déplacer à pied entre les villages, qu’en jeep.

Il fait très froid maintenant, c’est l’hiver. Il neige même parfois. Et toujours pas de chauffage dans les maisons. Il doit faire près de zéro dans ma chambre, le soir. Je m’enfouis littéralement sous une pile de couvertures. Me laver relève de l’exploit. À 5oC, avec un sceau d’eau tiède devant soi, il faut prendre son courage à deux mains pour se laver. À chaque fois que je me lave les cheveux, j’attrape le rhume par la suite en quelques heures.

Température froide et brumeuse. Mais, à l’occasion, dans les éclaircies de la brume et des nuages, un spectacle magnifique se déploie devant nous, des pics montagneux de plus de 8000 mètres! Une blancheur étincelante à couper le souffle. Pour l’instant, nous ne percevons cette luminosité éclatante qu’à travers de minces éclaircies. À chaque détour des chemins, à chaque coin de paysage, d’innombrables « prayer flags »2 flottent au vent, se découpant de leurs couleurs claires sur le fond montagneux. Et, ici et là, se dressent de multiples monastères bouddhistes tibétains !

Les gens sont beaux, calmes, sereins et paisibles, comme le paysage, comme la nature, comme la vie dans les montagnes. Je suis bien. Nous sommes dans la nature, les sapins, les arbres, les oiseaux. Je me sens bien, je me retrouve un peu comme chez nous. Peu importe le froid, j’y survivrai. J’adore cette ambiance du Sikkim et de Pelling. Sauf cette brume que j’aimerais bien percer un peu plus souvent si je le pouvais!

Hier, nous avons trouvé l’école dont nous avions la référence et où il nous serait peut-être possible de travailler et d’enseigner pendant quelques semaines. L’école était bien jolie, mais, malheureusement, les portes étaient closes. Les enfants du coin nous ont dit que l’école était fermée jusqu’au 1er mars. J’étais vraiment déçue. J’aimais l’ambiance de cet endroit, j’aurais tant aimé y enseigner et m’y installer pendant quelques temps. Nous nous sommes alors rendus au monastère pour voir le moine responsable, Yongda. Mais il était à Gangtok, la capitale, et on nous dit qu’il devrait revenir le lendemain ou le surlendemain. Il existe peut-être encore un espoir !

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1 Pots-de-vin.

2 Drapeaux de prières du bouddhisme tibétain, que les gens font flotter au vent partout dans les montagnes.

1 Le dhoti est un grand drap que les hommes enroulent autour de leurs jambes, qui forment une sorte de couche immense et qui leur sert de pantalon.

2 Cigarettes indiennes.

1 Maîtres.


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